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Paris, place de la République, le 14 octobre 2023. Manifestation en soutien au peuple palestinien, interdite par la préfecture de police. © Xose Bouzas/Hans Lucas via AFP

Manifester pour pleurer

Victorine de Oliveira publié le 18 octobre 2023 4 min

« C’est une décision controversée, sur laquelle le Conseil d’État était attendu aujourd’hui : suite au brutal retour du conflit israélo-palestinien sur la scène internationale, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a conseillé aux préfets le 12 octobre dernier d’interdire les manifestations de soutien au peuple palestinien, au motif qu’elles pourraient “générer des troubles à l’ordre public”.

Le Conseil d’État ne l’a pas désavoué, précisant seulement qu’“il revient aux préfets d’apprécier, au cas par cas, si le risque de troubles à l’ordre public justifie une telle interdiction”, comme c’est de toute façon l’usage. Les Sages ont également souligné la “rédaction approximative” de la consigne venue du ministère, et ajouté que l’interdiction ne peut en aucun cas être fondée “sur le seul fait que la manifestation vise à soutenir le peuple palestinien”.

Malgré les interdictions, des rassemblements ont eu lieu en France, à Lyon, Toulouse, Strasbourg et même Paris, place de la République – ce dernier ne réunissant que quelques centaines de participants. Cela paraît bien maigre, en comparaison des manifestations qui ont eu lieu en Espagne, aux États-Unis, en Irlande ou encore au Maghreb, de façon plus évidente. En France, la consigne sonne comme une punition : il n’est pas permis aux soutiens de la cause palestinienne et aux membres de cette communauté d’exprimer collectivement sur la voie publique son chagrin et sa colère. L’entourage du ministre de l’Intérieur a justifié cette décision au motif qu’ayant un passé d’antisémitisme bien plus lourd que ses voisins, tout en comptant la communauté juive la plus importante d’Europe (environ un demi-million de personnes), la France ne pouvait se permettre de laisser fleurir des slogans antisémites dans les rues. Le fameux “trouble à l’ordre public”, donc.

Reste que cette notion, si elle a une définition qui paraît relativement claire, est soumise sans cesse à appréciation, non seulement des préfets, mais également des forces de l’ordre une fois au cœur de la manifestation. L’une des premières définitions qui fondent notre droit vient du juriste Maurice Hauriou (1856-1929) qui, dans son Précis de droit administratif et de droit public (1927), écrit : “L’ordre public, au sens de la police, est l’ordre matériel et extérieur. […] La police […] n’essaie point d’atteindre les causes profondes du mal social, elle se contente de rétablir l’ordre matériel. […] En d’autres termes, elle ne poursuit pas l’ordre moral dans les idées.” Le maintien de l’ordre ne relève donc pas de la définition d’une cause qui serait plus noble qu’une autre, mais veille à ce que les trois piliers que sont la sécurité, la tranquillité et la salubrité (ainsi que le respect de la dignité humaine depuis un arrêt du Conseil d’État en 1995) soient respectés.

Par essence, la manifestation est un trouble à l’ordre public, puisqu’elle entrave a minima la circulation habituelle des personnes. Elle est un trouble toléré, à certaines conditions (déclaration préalable en préfecture) pour que la liberté d’expression puisse s’incarner dans l’espace public, puisse en quelque sorte se performer. Dans les faits, l’ordre matériel est même souvent mis à mal : combien de fois les forces de l’ordre ne sont-elles pas intervenues lors du bris de devantures de banques ou autres dégâts du même genre, estimant que quelques poubelles brûlées valent comme une décharge de colère qui peut éviter l’agression contre les personnes… Ce type de dégâts est même parfois négocié en amont, entre les syndicats et la police, notamment dans le cadre des manifestations d’agriculteurs : le dépôt de fruits pourris ou de fumier sur le parvis des préfectures est ainsi un grand classique, encadré par les forces de l’ordre.

Dans le contexte qui nous occupe, la manifestation n’a pas uniquement pour enjeu une décharge de colère et l’expression de revendications ; elle a également une dimension consolatoire. Le ministère de l’Intérieur est parti du principe que les manifestations pro-palestiniennes seraient forcément une démonstration de haine avec apologie des crimes du Hamas. Or dans ce contexte, on peut aussi envisager que la manifestation soit surtout l’occasion de pleurer les morts. Cela a été le cas lors de la “Marche de solidarité” qui a eu lieu le 9 octobre à l’appel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Si la place est laissée à chaque souffrance de s’exprimer, peut-être cela laissera-t-il une chance à “une communauté des larmes” d’advenir, comme la décrit Michaël Fœssel dans Le Temps de la consolation (Éditions du Seuil, 2015).

S’appuyant sur saint Augustin, qui, dans ses Confessions, se débat avec le deuil de sa mère – dont il ne devrait pas souffrir parce qu’elle n’est pas censée avoir complètement disparu mais qu’il ne peut s’empêcher de pleurer, Fœssel analyse ainsi la justification augustinienne des pleurs : “Versées devant Dieu, les larmes perdent leur caractère personnel pour devenir l’emblème d’une communauté réunie par le souvenir des morts.” Dans notre contexte, on pourrait dire qu’une fois versées dans l’espace public, au vu et au su de tous, les larmes prennent une dimension politique qui rend difficile la hiérarchisation des souffrances. Alors même qu’une manifestation d’extrême droite était autorisée le 8 mai dernier à Paris, avec un dispositif de maintien de l’ordre spécifique (une surveillance par drone, notamment), l’entrave actuelle au droit de manifester paraît donc d’autant plus incompréhensible et malheureuse. »

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