Marine Le Pen, une femme… d’État ?
À trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen a plus que jamais décidé de jouer la carte de la féminité pour conquérir les urnes. Sur sa nouvelle affiche de campagne, pas de logo du Rassemblement national, pas même la mention de son nom de famille (Le Pen), seulement un visage radieux et ces quelques mots : « Marine présidente, femme d’État ».
En décembre dernier, Marine Le Pen faisait déjà de l’expression « Femme d’État » un slogan de campagne. Pendant un déplacement à Mayotte, elle la définit ainsi : « Une femme d’État, c’est quelqu’un qui prend la mesure du rétablissement de l’autorité de l’État. »
Mais, au juste, qu’est-ce qu’une femme d’État ? Et Marine Le Pen en a-t-elle l’étoffe ? Décryptage.
Une femme d’État, c’est quoi ?
Associer « femme » et « État» n’a heureusement plus rien de surprenant de nos jours. Pourtant, c’est assez récent. La première occurence de « femme d’État » remonterait au XVIe siècle sous la plume de l’écrivain Brantôme qui écrivait à l’époque des guerres de religion : « Nous avons eu, en nostre guerre de la Ligue, madame de Montpensier, sœur de feu M. de Guise, qui a esté une grande femme d’Éstat. » Pour la philosophe et féministe Élisabeth Badinter, celle qui a porté haut et fièrement la figure de « femme d’État » est Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780). Pendant plus de quarante ans, cette dernière, surnommée « la Grande », était à la dirigeante d’un vaste empire, hérité des Habsbourg et dont le pouvoir était absolu. Femme, elle dut mener sa vie sur plusieurs fronts : elle « eut à gérer trois vies et assumer trois rôles différents, parfois en opposition les uns avec les autres : épouse d’un mari adoré et volage, mère de seize enfants, souveraine d’un immense empire », écrit la philosophe dans la biographie qu’elle lui consacre (Le Pouvoir au féminin, 2016).
Les deux corps de la reine
Dans son livre, la philosophe, spécialiste du siècle des Lumières, montre en quoi l’accession au pouvoir de Marie-Thérèse est une révolution en soi. Pour cela, Élisabeth Badinter part de la théorie des « deux corps du roi » de l’historien médiéviste Ernst Kantorowicz. L’idée est que le souverain était doté de deux corps : un corps naturel sujet aux passions, aux maladies et à la mort, et un corps politique immortel qui incarne la communauté du royaume. Lorsqu’un roi meurt, et donc que son corps naturel disparaît, son corps politique est transféré à son successeur assurant ainsi la continuité du pouvoir politique. Or cette conception du pouvoir n’incluait pas les femmes. Leur corps était jugé inapte à incarner la fonction symbolique, car censément tourné vers une seule fin : la reproduction. La puissance symbolique de Marie-Thérèse d’Autriche est d’avoir su concilier les deux : « Épouse et mère, elle a conjugué magistralement féminité, maternité et souveraineté. Non seulement le corps naturel ne fut pas un obstacle, mais il se révéla un atout majeur pour asseoir son pouvoir », écrit-elle.
Marine Le Pen, une femme d’État ?
Loin est l’époque où, à l’instar du philosophe Condorcet dans son manifeste Sur l’admission des femmes au droit de cité (1790), il fallait batailler pour convaincre que les femmes sont aptes à la vie politique. Il n’empêche qu’à ce jour, aucune femme n’a été élu présidente de la République. L’élection de Marine Le Pen serait en cela lourde de sens. Mais sera-t-elle pour autant une femme d’État ? Pour la candidate, qui affiche sa volonté de supprimer toute filiation familiale (absence du patronyme) et tout enracinement politique (absence de logo de son parti), être une future femme d’État est « logique », presque une affaire de syllogisme : « je suis une femme, je serai à la tête de l’État, donc, je serai une femme d’État ». Est-ce néanmoins suffisant ? On peut raisonnablement en douter et estimer qu’il s’agirait plutôt d’une manœuvre politicienne. Pour rappel, depuis 2012, elle tente d’échapper à l’image sulfureuse de son père, et, lors de cette élection présidentielle, elle a pour rival, dans sa propre famille politique, Éric Zemmour, dont les propos sur les femmes sont plus qu’effarants. Dans ce contexte de « dédiabolisation », sa « féminité » ne serait donc qu’un pur argument électoral… bien loin de la hauteur que l’on prête à un homme ou une femme d’État. Alors, si les deux prémisses de son syllogisme sont vraies, la conclusion n’en reste pas moins fausse : une femme à la tête de l’État n’est pas nécessairement une femme d’État.
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