Cécile Alduy : “Le discours de Zemmour sape le sens des mots par sa forme même”
Professeur à l’université de Stanford (États-Unis), chercheuse associée au Cevipof de Sciences Po, Cécile Alduy s’est penchée sur les procédés rhétoriques du candidat aux élections présidentielles Éric Zemmour, prolongeant son travail centré depuis des années sur l’analyse du discours politique et de l’extrême droite. Dans un essai bref et incisif, La Langue de Zemmour (Éditions du Seuil, 2022), elle montre que son style s’inscrit dans une longue tradition de la langue fasciste.
“Il est urgent de disséquer ce que fait Éric Zemmour à notre langue”, écrivez-vous. En quoi se poser cette question vous semble-t-il aussi urgent que de se demander ce que Zemmour fait à la société, tout court ? Pour le dire autrement : en quoi son usage de la langue vous semble-t-il révélateur de sa pensée ?
Cécile Alduy : Les deux sont indissociablement liés. La forme du discours est toujours porteuse de sens, explicitement et implicitement. C’est vrai de tout texte, mais chez Éric Zemmour, il est urgent de comprendre non seulement pourquoi la forme de son discours emporte l’adhésion (c’est son efficacité rhétorique), mais aussi en quoi cette forme impose une vision du monde dont il est difficile ensuite de se défaire. Son discours par sa forme même interdit toute réplique, sape le sens des mots qui permettent de penser notre modernité, et crée un espace langagier anti-démocratique qui clôt toute discussion, tout pluralisme. Un exemple : le style Zemmour « marche » notamment grâce à deux procédés : la répétition à outrance (dans la phrase, de pages en pages, de livres en livres) et les assertions de vérités générales (« on sait que », « depuis la nuit des temps », « c’est toujours »…). Le discours se présente comme une succession de maximes et de lois atemporelles, et la répétition habitue à ces thèses, elle les rend « naturelles » par ressassement. On peut voir ici un effet rhétorique puissant de persuasion, un effet politique de clôture du débat (on ne discute pas de « vérités ») mais aussi un sens idéologique sous-jacent plus subreptice – celui d’une société immobile, régie par des lois immémoriales qui dictent que les hommes dominent, etc. La propagande ne consiste pas seulement à marteler certaines idées (« nous sommes en matriarcat », « la guerre de civilisations ») mais à insinuer un véritable système de pensée où l’histoire est répétitive, des lois atemporelles déterminent les rapports humains et politiques, et la société est figée selon un ordre « naturel ». C’est l’idéologie d’un Charles Maurras.
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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