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©Kyle Thompson/Agence Vu

Hors-série : “Le Seigneur des anneaux”

Michaël Devaux : Tolkien et la tentation du roi-dieu

Michaël Devaux, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le 26 juillet 2022 18 min

Qui veut faire l’ange fait la bête : Tolkien pourrait paraphraser Pascal, tant il se méfie de ceux qui veulent le bien et font le mal. Le philologue sait de quoi il parle. Éprouvé par la Grande Guerre, Tolkien n’a cessé de se demander comment résister à la corruption du pouvoir par la violence. Dans l’espoir de retirer, d’une lutte perdue d’avance, un bien supérieur ?

 

L’histoire du monde est celle d’une « longue défaite » contre le mal, écrit Tolkien. Comment comprenez-vous ce pessimisme ?

Michaël Devaux — Cette idée d’une « longue défaite » contre le mal, dans l’histoire de la Création comme dans l’histoire fictive de la Terre du Milieu, est récurrente chez Tolkien. « Je suis chrétien, et à vrai dire un catholique romain, si bien que je ne m’attends pas à ce que l’“histoire” soit autre chose qu’une “longue défaite” » (Lettres, no 194). Dans Le Seigneur des anneaux (II, 7), il fait dire à Galadriel : « Ensemble, durant des siècles du monde, nous avons combattu la longue défaite. » Qu’est-ce à dire ? Défaite contre qui ? « Quant au Mal, que dirons-nous de lui, sinon qu’il existe ? Cela au moins est certain. Terriblement », écrit-il dans le poème Mythopoeia. Ces aspects pessimistes ont différentes origines. Une source biographique : Tolkien a vécu les horreurs de la guerre, des tranchées. Il a été très marqué par la mort de ses amis du club Tea Club, Barrovian Society (TCBS).

Son œuvre est une manière de sublimer ces douleurs, de substituer des images à l’odeur du sang, à la pestilence de l’eau croupie, à l’horreur du no man’s land – qui nourrit notamment la description du Marais des Morts. L’art permet de voir la « tragédie d’un malheur inéluctable […] de manière plus poétique », à distance, « à l’écart de la pression directe causée par [le] désespoir », comme Tolkien le dit du poète de Beowulf. Mais il faut aussi souligner l’ancrage biblique fondamental : le mal est puissant, l’humanité perd des batailles. Il y a des victoires, des éclaircies, des respirations, bien sûr. Mais ces succès n’offrent que moments de répit. Ainsi, le début du Quatrième Âge, après la défaite de Sauron, inaugure-t-il une période de paix. Mais le calme ne dure qu’un bon siècle. Une « nouvelle ombre » apparaît, pour reprendre le titre d’un roman inachevé de Tolkien. Les hommes – et les Elfes aussi bien – sont incapables de se maintenir au niveau du bien véritable. Leur orgueil, bientôt, ressurgit. « Jamais la force et les bonnes intentions ne dureront » (Le Seigneur des anneaux). La paix ennuie. « Aucune bataille ne serait gagnée définitivement. » Dans son travail sur Beowulf, encore : « Les monstres ne disparaissent pas. » C’est ce qu’éprouvent beaucoup de protagonistes du Seigneur des anneaux : « Contre le Pouvoir qui s’est désormais élevé, il n’y a pas de victoire. » L’histoire est « cacocatastrophique ». Dans une lettre, il ajoute : « Le pouvoir du Mal dans ce monde n’est pas ultimement résistible par les créatures incarnées, si “bonnes” soient-elles. » Pourtant Tolkien maintient une espérance.

 

« Le pouvoir du mal n’est pas ultimement résistible » : c’est exactement ce qui arrive à Frodo ?

Frodo résiste en effet à l’Anneau, au mal qui le ronge, jusqu’au terme de l’aventure. Mais, au bord de la Crevasse du Destin, il cède : il revendique l’Anneau pour lui-même. « Il ne me plaît pas, maintenant, de faire ce pour quoi je suis venu. Je n’accomplirai pas cet acte », lance-t-il dans Le Retour du roi. En réalité, il n’a plus le choix : sa volonté est brisée ; il n’est plus libre de décider. Il y a un point de rupture. C’est ce que dit Tolkien dans une lettre où il évoque les derniers mots du Pater Noster : « Ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal » – « la prière la plus difficile et la moins considérée ». « Il existe des situations […] anormales dans lesquelles on peut se retrouver. Des situations “sacrificielles”, c’est le nom que je leur donnerais : i.e. des cas où le “bien” du monde dépend du comportement d’un individu dans des circonstances qui exigent de lui souffrance et endurance bien au-delà de ce qui est normal ; et même, ce qui peut arriver (ou semble arriver en termes humains), exigent une force du corps et de l’esprit qu’il ne possède pas : il est, en un sens, voué à l’échec, voué à succomber à la tentation ou à être brisé par la pression qui s’exerce contre sa “volonté” : c’est-à-dire contre le choix qu’il pourrait ou voudrait faire s’il était non entravé et non sous la contrainte. » De ce point de vue, l’échec de Frodo n’est pas un « échec moral ». « Nous sommes des créatures finies, avec des limitations absolues quant au pouvoir d’endurance de notre corps et notre âme. […] On ne peut parler d’échec moral, il me semble, que lorsque l’effort ou la résistance d’un homme sont bien en deçà de ses limites. »

Frodo, lui, a fait tout ce qu’il a pu : il « s’était donné totalement » (Lettres). Et, malgré cela, la quête « était destinée à s’achever par un désastre ». Dans une certaine mesure, celui qui met le doigt dans l’engrenage du mal ne peut que s’attendre, à un moment ou un autre, à céder à celui-ci – quelle que soit sa volonté de résister. La vraie résistance serait de ne pas y entrer. La logique est bien connue : une idée passe par la tête, on s’en délecte, puis on y consent, passe à l’acte, cela devient une (mauvaise) habitude, dont on désespère de sortir, on s’y entête finalement, et même jusqu’à l’imprudence, au point que cela soit devenu un caractère que l’on croit propre… C’est un peu la même chose avec les addictions aux écrans, à commencer par le téléphone portable : il y a comme un tourbillon entre usus et abusus. On se fait siphonner. L’attrait devient bientôt attirance, pris dans l’engrenage, on se fait attraper : en fin de compte l’addition de l’addiction est lourde à payer ! Que chacun s’interroge, est-ce bien une question de degré comme on s’en rassure à bon compte, ou bien une question de nature ? On ne peut qu’être sidéré en entendant les alertes (vaines ?) lancées par certains, qu’elles soient scientifiques (Michel Desmurget, La Fabrique du crétin digital) ou littéraires (Alain Damasio, Scarlett et Novak). Il est urgent de les prendre en considération.

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