Michael Lonsdale et Javier Teixidor. Le croyant et le savant

Au pied des Invalides, ils se sont rencontrés pour aborder la religion et la croyance. Michael Lonsdale, le comédien qui a joué au cinéma et au théâtre sous la direction des plus grands metteurs en scène (Orson Welles, François Truffaut, Luis Buñuel, Samuel Beckett, Marguerite Duras), le « méchant » dans James Bond ou Le Nom de la rose, est un fervent chrétien. Inspiré, il fait part de sa conversion et de sa foi à Javier Teixidor. Professeur au Collège de France, celui-ci est allé au Proche-Orient sur les traces des premiers monothéismes. Il insiste sur le conflit des religions dans l’histoire. Dans un livre qui fera date, Le Judéo-christianisme (en septembre chez Gallimard), il révèle la profonde différence entre judaïsme et christianisme. Le croyant a du mal à accepter l’approche historique et philosophique du fait religieux. Le savant a du mal à intégrer la foi dans ses constructions. Ils ont noué un rapport très différent à la religion, mais s’accordent sur une chose : celle-ci continuera de faire gamberger l’humanité.

Michael Lonsdale : Enfant, je n’ai pas été baptisé. Mes parents me laissaient libre de décider en temps voulu. Je suis devenu chrétien progressivement. J’ai rencontré des êtres extraordinaires qui m’ont converti et m’ont appris à vivre les implications pratiques de cette foi. Par la suite, à un moment de deuil et de désespoir – j’avais perdu ma mère et plusieurs proches –, j’ai appelé Dieu à l’aide. Je me suis alors rapproché du mouvement charismatique de l’Emmanuel. Les charismatiques mettent l’accent sur la parole de saint Paul dans l’Épître aux Corinthiens. Cela m’a complètement pris. Je rencontrais enfin des chrétiens joyeux, accueillants, qui chantent et prient les uns pour les autres. C’est une fraternité magnifique !

Javier Teixidor : Je ne suis, pour ma part, pas du tout religieux. J’aborde le problème du point de vue de l’histoire, de la philosophie et de la théologie. Ma vision est très différente de la vôtre. C’est celle d’un historien et d’un philosophe qui ne s’est jamais posé la question du point de vue de la prière.

M. L. : C’est pourtant capital, la prière !

J. T. : Je ne me pose pas la question. La foi et le savoir sont deux choses différentes. Mais elles ne sont pas incompatibles. Pensez au grand débat sur la religion qui a agité les philosophes du xviii^e siècle, la « querelle du panthéisme ». Au départ, elle oppose deux personnages, Moïse Mendelssohn et Friedrich H. Jacobi. Le premier, juif croyant, est aussi un homme des Lumières. Il défend l’unité de la foi et de la raison : la vérité de la religion n’est pas dans le miracle, mais dans le raisonnement intrinsèque de sa doctrine. Pour le second, il n’y a pas de religion rationnelle. Soit vous admettez que votre rationalisme, qui explique tout, conduit à l’athéisme, soit, si vous voulez préserver votre foi, vous devez abandonner la raison. Aucun argument rationnel n’a jamais convaincu quiconque de croire. C’est par un « saut périlleux » que l’on passe du côté de la croyance. Au-delà de cette querelle, Mendelssohn est l’un des pères de la philosophie juive moderne, il a aidé à clarifier l’opposition entre le judaïsme et le christianisme. Il est très important aujourd’hui de pouvoir exposer le conflit entre les religions de manière critique et respectueuse. C’est l’une des conditions d’entente entre les religions : qu’elles puissent affronter leurs différends, historique et théologique, sans chercher à décider quelle est la plus vraie.