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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Giovanni Bellini (1430-1516), “Vierge à l’Enfant avec saint Jean-Baptiste et une sainte (Conversation sacrée Giovanelli)”, v. 1500. Huile sur bois, 55 x 77 cm. Conservé à la Gallerie dell’Accademia, Venise (Italie). © G.A.VE Archivio fotografico – su concessione del Ministero della Cultura

Mort à Venise

Michel Eltchaninoff publié le 25 avril 2023 4 min

Le week-end dernier, Michel Eltchaninoff a visité la merveilleuse exposition consacrée au peintre vénitien Giovanni Bellini au musée Jacquemart-André, à Paris. Mais pas n’importe comment. Il a expérimenté une méthode toute spéciale, inspirée par Hegel.

 

« Que cherche-t-on en allant faire la queue sous la pluie, avant de se retrouver au coude-à-coude avec des visiteurs dont l’amour du Beau semble inversement proportionnel à celui de leur semblable ? Du plaisir esthétique, bien sûr. Mais cette émotion, on n’est jamais certain de la trouver. Avec le peintre Giovanni Bellini (né vers 1430, mort en 1516), je ne prenais pas trop de risques. J’avais des souvenirs lumineux de ses tableaux dans les églises et les musées de Venise. Ses Vierges, au visage serein et un peu estompé, simplement vêtues d’étoffe rouge et bleue, tenant leur divin bébé sur leurs genoux devant un paysage bleuté ou sous une coupole d’or, correspondent depuis à l’idée que je me fais de la douceur. J’allais m’y replonger.

Mais je n’avais pas seulement envie de ressentir. Je voulais comprendre. Quoi, je ne le savais pas. Les explications données à l’entrée de chaque salle, relevant les influences des autres peintres de la Renaissance sur Bellini, sont passionnantes quand on s’intéresse à l’histoire de l’art. J’aspirais cependant à quelque chose de plus essentiel. En ce qui concerne la beauté, je suis plus un adepte de Hegel que de Kant. Pour de dernier, le Beau est “ce qui plaît universellement sans concept” et déclenche en nous un “jeu libre et harmonieux des facultés humaines” (Critique de la faculté de juger, 1790), qui signale le plaisir esthétique. Ce qui compte, d’après Emmanuel Kant, c’est la disposition du spectateur, qui s’accorde avec une composition bien balancée et de gracieux coloris. C’est vrai, mais cela ne suffit pas. Hegel, lui, considère que “l’art dégage des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter d’une réalité plus haute créée par l’esprit lui-même” (Esthétique, 1818-29). Certes, précise-t-il, “ce n’est pas encore de la pensée pure, mais en dépit de son caractère sensible, c’est n’est plus une réalité purement matérielle”. C’est la rencontre d’une forme, patiemment élaborée par l’artiste, et d’une signification – qu’il faut tâcher de découvrir.

Je me suis donc mis en quête de cette vérité incarnée et universelle. De salle en salle, de tableau en tableau, j’ai commencé à échafauder un scénario qui allait, peut-être, me révéler quelque chose. Comme il n’y avait à peu près que des Madones et des Christ, je me suis dit que Bellini nous parlait des relations entre les parents et leurs enfants. La tendresse, comme souvent dans ce genre de représentations, se laisse deviner dans le geste du bébé qui, tout en fourrant béatement sa main dans sa bouche, pince le doigt de sa mère, ou de celle-ci qui soutient délicatement le pied de son enfant. Mais pourquoi le regard de la Madone est-il si triste ? Devant une énième Vierge, cette fois entourée de deux saints, sur fond d’un monde indifférent, avec ses navires, sa grande ville, ses collines et ses hauts sommets, j’ai enfin compris : la mère sait que son fils va mourir. Et au lieu de le regarder avec ravissement, elle détourne les yeux vers un point inconnu, perdue dans ses pensées inquiètes. Certes, son fils aura un destin spécial. Mais tous les parents espèrent qu’ils n’auront pas à pleurer la mort de leur enfant. L’événement tant redouté arrive, représenté dans une autre salle. Sur la croix, le Christ est livide (alors qu’il est tout rose sur le tableau d’à côté). Son visage, presque déjà en décomposition, est lamentablement penché sur son épaule. Et derrière, ce n’est pas une joyeuse Jérusalem que l’on aperçoit, mais un paysage désolé, brun comme du sang séché. C’est bien l’art de Bellini, et non un jeu de concepts, qui rend sensible cette douleur, et qui la fait ressentir au spectateur.

Déprimante, l’exposition Bellini ? Pas dans mon scénario. Car l’une de ses plus belles réalisations, celle qui a été choisie pour l’affiche, montre le Christ mort, presque en grandeur nature, soutenu par deux anges. Son torse de jeune homme n’est plus celui d’un cadavre, malgré ses stigmates. D’ailleurs, la douleur semble avoir abandonné son visage, légèrement relevé cette fois. Il semble dormir. Ceux qui souffrent, ce sont les deux petits anges. Le premier a l’air désespéré et lève les yeux vers le ciel, comme pour demander une aide à laquelle il ne croit plus. Le second, lui, espère encore. On dirait qu’il chuchote à l’oreille de Jésus, comme pour le supplier de se réveiller. En vain.

Hegel a raison : “L’art nous invite à la méditation philosophique.” Chacun, bien sûr, a la sienne propre en visitant une exposition. J’en suis sorti, quant à moi, en pensant aux deuils, aux miens et à ceux des autres. Je n’en ai tiré aucune consolation. Mais ces instants isolés par le peintre, créés par lui pour nous toucher et réveiller nos propres douleurs, resurgiront peut-être lorsque j’y serai de nouveau confronté. Je ne crois pas du tout, contrairement à la célèbre formule, que la beauté sauvera le monde. Mais elle lui donne un sens plus profond. Elle grave la gravité. »

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