Passer à côté de sa vie? Une inquiétude pour près d’un Français sur deux

Avec une note globale de 6,3 sur 10, la population dans son ensemble juge son niveau de bien-être « médiocre ». Une majorité des Français (55%) avoue chercher « constamment » à gagner du temps, notamment parce qu’ils ont trop de choses à faire dans leur vie (54%). Chez plus d’un tiers, ce sentiment génère une « dévalorisation de soi-même », le sentiment de ne pas être reconnu à sa juste valeur (36%).

Destinée et liberté

Des chiffres confirmant combien notre époque est portée par la réalisation de soi et combien l’idée d’une vie en accord avec son désir s’impose désormais. Mais que doit-on comprendre exactement de l’expression « passer à côté de sa vie » – après tout, nous nous confondons avec notre vie et nous n’en avons qu’une. Alors, comment passer à côté ? Derrière son présupposé absurde, cette formulation pointe peut-être la crainte pour chacun d’être oublieux des promesses que l’on s’est faites ou de manquer le tournant radical à laquelle l’existence nous confronte.

Face à une dialectique incertaine confrontant la destinée et la liberté, le philosophe Christopher Hamilton, auteur de 40 ans. À la croisée des chemins (Autrement, 2014), rappelle que la raison de nos choix existentiels fondamentaux demeure obscure. Dans un entretien paru dans notre numéro d’été intitulé « Comment ne pas passer à côté de sa vie », il relativise cette quête de sens qui inquiète près d’une moitié des Français. « S’il est impossible de savoir qui l’on est, ajoute-t-il, il reste souhaitable de continuer à s’interroger, sans toutefois s’imaginer trouver un jour une réponse satisfaisante. Le bilan est impossible, nous ne serons jamais en capacité de le tirer, ce qui ne doit pas effrayer. Il est inutile de se lamenter sur sa vie passée, de la regretter ou de craindre la vie future. Nos choix ne nous appartiennent jamais vraiment. […] Nous comprenons à la quarantaine que nos “choix” d’embranchements successifs ont eu des conséquences que nous n’avons jamais négociées. »

Du culot et de l’exercice

Et Peter Sloterdijk, auteur de Tu dois changer ta vie !, de poursuivre. Selon lui, « aujourd’hui, ce sont les crises mondiales du type de celle que nous connaissons depuis septembre 2008 qui peuvent décréter avec autorité : “Tu dois changer ta vie !” Les menaces de cette ampleur ont un impact sur les comportements humains bien plus important que n’importe quelle bonne volonté politique de changement ». Les Français demeurent pourtant 39% a éprouver l’envie de tout quitter et de changer de vie. Le peut-on seulement, et comment ? Comme nous l'indiquions dans notre dossier « Peut-on changer de vie? », il faut un peu de culot et beaucoup d’exercice pour y parvenir.

« En tant qu’exercice éthique radical, ajoute Peter Sloterdijk, toute entrée dans la métaphysique n’a jamais été que l’expression d’une forme exacerbée de la capacité à se déplaire soi-même. Seul celui qui se dégoûte vraiment lui-même peut avoir le courage de rompre avec sa vie antérieure. […] Éprouver un début de “déplaisance” par rapport à soi-même est donc la condition première pour prétendre à une renaissance. C’est seulement dans et par l’exercice que l’on peut gagner et mériter une deuxième vie au sein de la première. C’est-à-dire “changer de vie”. » Il reste que « l’important n’est pas tant de changer de vie que de savoir pour quelle sorte de vie on est prêt à changer. Cette finalité de l’exercice a été le point crucial des réflexions de Nietzsche sur les motivations d’un homme à changer de vie. » Et vous, pour quelle sorte de vie êtes-vous prêt à changer?