Patrick Weil : “Il faut garantir à chacun un jour férié au choix”
Le lundi de Pentecôte approche. En attendant, des écoles de Toulouse et Montpellier ont été mises en demeure par le ministère de l’Intérieur de communiquer le nombre d’élèves absents lors de l’Aïd-el-Fitr. Faudrait-il instaurer des jours fériés différenciés ? Le point de vue de l’historien Patrick Weil, auteur du livre De la laïcité en France (Grasset, 2021) et ancien membre de la commission Stasi, qui s’était penchée sur cette question en 2003.
Comment réagissez-vous à ces demandes de recensement des élèves absents lors de l’Aïd à Toulouse et Montpellier ?
Patrick Weil : Je suis choqué. Traditionnellement, dans notre République, on ne fait pas de choses qui s’apparentent à du recensement religieux. Il y a en plus en France une sorte de tradition, confortée par la circulaire du 18 mai 2004, en vertu de laquelle ont le droit de s’absenter les croyants qui ne peuvent se prévaloir d’un jour férié lors de leurs fêtes religieuses. La commission Stasi de 2003, à laquelle j’ai appartenu, entendait aller au-delà de la circulaire, en garantissant dans la loi un droit d’option de jour férié, dans l’esprit de la laïcité.
“Il faudrait un droit d’option de jour férié, pour tous”
De quelle manière ?
Dans un contexte où le gouvernement envisageait de supprimer le jour férié du lundi de Pentecôte, la commission a unanimement proposé de faire de l’Aïd et de Kippour des jours fériés dans les écoles en plus de la Pentecôte, et d’instituer un jour férié au choix pour les salariés. Aujourd’hui, à un moment où on ne sait d’ailleurs plus très bien où l’on en est au niveau de la Pentecôte, je serais plutôt partisan du jour férié au choix, à la fois pour les salariés et pour les élèves, dont la Pentecôte, Kippour, l’Aïd, le Noël orthodoxe, etc., feraient partie. Vous auriez en début d’année civile ou scolaire la possibilité de dire quel jour vous choisirez. De la sorte, on respecterait le caractère privé de la religion puisque, si vous avez des élèves absents lors de Kippour, par exemple, il pourrait aussi bien s’agir de Juifs que d’athées ou d’autres, qui trouveraient ce jour particulier plus avantageux que le lundi de la Pentecôte pour telle ou telle raison. On ne demanderait pas aux individus pour quelles raisons ils choisissent ce jour précis.
“La laïcité, c’est le respect de toutes les options spirituelles”
Diriez-vous ici qu’il y a eu de la part du ministère de l’Intérieur une atteinte à la laïcité ?
La laïcité, c’est le respect de toutes les options spirituelles. C’est aussi le fait que, pour bien respecter ces options qui sont de l’ordre du choix de conscience, on ne recense pas les individus par religion. Or, en mobilisant la police de cette manière, qui s’est directement adressée aux établissements, on pointe en quelque sorte du doigt une option spirituelle particulière. On a les prémisses d’une atteinte à la neutralité de l’État vis-à-vis de la religion. La réponse de la secrétaire d’État à la citoyenneté, qui s’est défendue de tout fichage ou de toute stigmatisation, montre bien qu’il y a un problème qui doit être résolu. La seule réponse politique qui vaille serait d’acter la diversification du champ spirituel dans l’Hexagone depuis la loi de 1905 – je dis bien « dans l’Hexagone » car l’islam faisait déjà partie du champ de la loi avec l’Algérie, qui était à l’époque partie intégrante de la France. Aujourd’hui, il y a sur le territoire français plus d’agnostiques, plus d’athées, mais aussi plus de bouddhistes, plus de Juifs et plus de musulmans qu’avant. Il faut que le respect de toutes ces options spirituelles, qui est à la base de la neutralité de l’État, s’exerce dans un nouveau contexte, et c’est bien pour cela que la commission Stasi avait unanimement proposé cette mesure des jours fériés alternatifs. Plutôt que de mettre à l’index des pratiques religieuses légales, le ministère devrait porter ses efforts sur l’application des dispositions pénales de la loi de 1905. Elles assurent la protection contre les pressions religieuses. Elles sont pourtant ignorées. Dans les débats sur la loi séparatisme d’août 2021, lorsque les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont été interrogés sur l’article 35 de la loi qui aurait permis de poursuivre l’imam de la mosquée de Pantin, qui avait mis sur son site la vidéo ayant probablement entraîné l’assassinat de Samuel Paty, ils ont répondu que cet article n’était jamais appliqué et qu’ils avaient prévu de le supprimer ! Cet article a finalement été maintenu et renforcé par le Parlement, mais il reste ignoré du gouvernement. Pour combien de temps encore ?
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