Comment les « nouveaux profs » bousculent l’Éducation nationale

Une « vocation ». C’est ainsi qu’a toujours été pensé le métier de professeur, sorte d’aspiration infatigable et quasi sacrificielle à instruire, chaque année, une nouvelle tranche de la jeune génération. La réalité est moins rose. Entre des salaires trop bas pour des conditions de travail difficiles et une image de la profession dégradée, 4 000 professeurs manquaient à l’appel début septembre. Au moins un poste n’était pas pourvu dans 62 % des établissements en France.

Pour régler cette pénurie sans précédent, la solution proposée par le ministre de l’Éducation  nationale Pap Ndiaye à la rentrée était radicale : recruter 4 500 « contractuels », des suppléants engagés pour une année sans avoir passé de concours de l’Éducation nationale (Capes, agrégation…). Si le ministre a quand même promis que 80 % d’entre eux avaient déjà enseigné, les syndicats ont rapidement dénoncé « un bricolage ».

Au cours de notre enquête, nous avons découvert des dizaines de contractuels aux profils déroutants. Un professeur des écoles qui n’a pas le baccalauréat, une professeure de philosophie recrutée sans expérience et sans passer d’entretien… Parmi eux, beaucoup se sont retrouvés face à une classe du jour au lendemain, sans suivre la formation express qui leur avait été promise fin août.

Par-delà ces travers administratifs, une chose interroge encore davantage : d’où vient l’envie de ces « grands débutants » de se lancer dans une profession que plus personne ne semble vouloir exercer ? Ont-ils, à travers leurs parcours individuels souvent originaux, des choses à apporter aux élèves, voire au système éducatif lui-même ? Une hypothèse déjà avancée par le pédagogue Joseph Jacotot aux XVIII^e-XIX^e siècles, reprise par le philosophe Jacques Rancière dans Le Maître ignorant.

De l’hosto à la philo

Cela fait un an que Karine Antelme, 31 ans, est professeure de philosophie en terminale au lycée des Lumières, à Mayotte. Dans sa « vie d’avant », elle était infirmière en rééducation, puis en réanimation néonatale. Le service de ses rêves, se souvient-elle : « Je sauvais la vie de petits prématurés pesant 500 grammes ! »

Ses années de service à l’hôpital public la passionnent mais la poussent rapidement à bout. Après trois années d’exercice, elle craque : « En tant qu’infirmière, j’avais l’impression d’être une machine, de la chair à canon d’hôpital. Toutes ces petites expériences quotidiennes traumatisantes qui se sont accumulées m’ont fait me dire que la philosophie me manquait. » Karine souhaite alors « revenir au monde des idées », qu’elle côtoie étudiante : « Après le bac, je m’étais inscrite en philo sur un coup de tête à l’université de Rouen. Je suis allée au bout de ma formation, même si je savais que j’allais me réorienter vers un métier de soins. J’ai choisi une spécialité en “Éthique, soin et santé” pour mettre un premier pied dans l’univers médical, avant d’entreprendre mes études en soins infirmiers. »