Pendant que j’y pense/Avril 2019

Catherine Portevin publié le 2 min

Avez-vous déjà essayé de rompre une miche de pain ? On croit le geste plus doux qu’avec le tranchant d’une lame et pourtant, quel saccage ! Surtout si la miche est fraîche et la mie moelleuse, vous en avez plein les mains, des miettes partout, des morceaux inégaux, imprésentables en tranches. Même déchirement si vous tentez de couper un tissu sans ciseaux ou une ficelle avec les dents. « La rupture propre est sans doute impossible », elle affecte toujours les deux parts rompues, suggère la philosophe Claire Marin en entamant sa réflexion sur ces écorchures, fractures, arrachements et fêlures dont sont tissées nos vies… et peut-être nous-mêmes : ruptures amoureuses, bien sûr, mais aussi maladies, deuils, exils (elle ne fait qu’évoquer les ruptures du travail maquillées en flexibilité, la rupture écologique ou politique). Rupture(s) (Éd. de L’Observatoire, 204 p., 16€) a ceci de remarquable qu’il allie le souple du roseau et le raide du chêne, l’empathie et l’inespoir, une plume raisonnable et une sourde révolte. Lorsque les temps sont à la pensée positive, Claire Marin entend résister « par entêtement ou conviction » à l’optimisme et aux versions rédemptrices des coups durs, « nouvelles vies » et recommencements. Non, insiste-t-elle doucement : « La rupture n’est parfois qu’un gâchis […], l’échec est souvent un pur raté, la plupart ne nous apprennent rien. » Nous voilà prévenus ! Et pourtant, nulle complaisance à la douleur dans cet essai. Il progresse avec précaution et nuance, interrogeant la « force plastique » que Nietzsche louait avec éclat et qui nous permet de « donner une nouvelle configuration à des formes brisées ». Dans son parcours, parmi les tessons de nos moi rapiécés, la subtilité modeste de Rupture(s) a quelque chose… de consolant.

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