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France/Surveillance

Qu’est-ce qu’une “conviction philosophique” ?

Nicolas Tenaillon publié le 14 janvier 2021 3 min

Le gouvernement vient d’autoriser la collecte de fichiers de police et de gendarmerie comprenant les « convictions philosophiques et religieuses ». Mais que révèlent nos convictions sur ce que nous sommes ?

 

La conviction est une certitude acquise. Elle peut être le fruit d’une réflexion personnelle, d’un travail critique ou, au contraire, d’un endoctrinement aveugle. C’est tout le problème. En parlant de « convictions philosophiques et religieuses » dans une même formule, Le Bulletin officiel rend indistinctes les causes profondes de l’adhésion à une doctrine ou à une croyance. Or la conviction philosophique n’est pas de même nature que la conviction religieuse.

En religion, la conviction est indissociable de la foi et celle-ci de l’acceptation d’une vérité révélée qui fait autorité sur la personne. Lorsque, au XIXe siècle, le père Lamennais affirme que « la foi est l’acte de la volonté qui se soumet, souvent sans conviction, quelquefois contre la conviction même, à ce qu’une raison extérieure et plus élevée déclare vrai » (Lettre inédite à la baronne Cottu, 1829), il perçoit que parler de conviction religieuse ne va pas de soi. Croire, c’est en effet estimer que la conviction personnelle ne peut être au mieux qu’une réponse à un appel extérieur à soi. Ainsi peut-on dire que c’est davantage par foi que par conviction qu’Abraham accepte de sacrifier son fils unique Isaac, car l’absurdité de son geste devrait le faire douter de la parole de Dieu. Mais comme l’écrit Søren Kierkegaard dans Crainte et Tremblement (1843) : « Abraham croyait en dépit de l’absurde. Pour lui, les calculs humains n’existaient plus depuis longtemps. »

La « conviction philosophique », elle, ne peut accorder cette forme de prévalence à ce qui dépasse la raison humaine. Elle ne saurait se confondre avec la foi. Elle se caractérise par le fait qu’elle en revient toujours à la personne qui réfléchit, qu’elle émane de son for intérieur et qu’elle résulte de son dialogue avec elle-même. De ce point de vue, la conviction philosophique est à rapprocher de « l’intime conviction » telle que la définit la justice : une méthode de jugement qui prend en compte tous les éléments, y compris subjectifs, en plus des preuves matérielles, pour énoncer une position personnelle dans un débat judiciaire. C’est à cette forme de conviction qu’en appelle Voltaire, lorsque, dans l’article « Certain, Certitude » de ses Questions sur l’Encyclopédie (1772), il estime que chaque juge devrait se dire : « La postérité, l’Europe entière ne condamnera-t-elle pas ma sentence ? Dormirai-je tranquille, les mains teintes du sang innocent ? » Être philosophiquement convaincu, c’est prendre un parti « en son âme et con­science », indépendamment des convictions des autres.

Mais la conviction philosophique, si elle ne relève pas de la foi, ne peut pas non plus être assimilée à la certitude objective telle que la requiert la science. En effet, il y a dans l’idée de conviction une dimension subjective irréductible. Être convaincu, c’est donner son assentiment, parce qu’on ne trouve plus de raison personnelle de douter. C’est cette dimension personnelle qui peut, paradoxalement, faire de la conviction une conviction philosophique. Exerçant légitimement son sens critique, la personne qui réfléchit décide d’en interrompre l’usage, parce qu’elle pressent que cet usage pourrait être sans fin. Par sagesse et non pas par haine de la raison, elle prend position « en l’état actuel des connaissances » qui peuvent inspirer sa conduite. Conscient de son ignorance relative, un tel sujet ne saurait imposer sa conviction aux autres sans se contredire. Ainsi, comme le suggère le titre que Paul Ricœur avait choisi de donner à son entretien avec François Azouvi et Marc de Launay pour décrire son parcours intellectuel : La Critique et la Conviction (1995), la démarche philosophique consiste à assumer une position intermédiaire entre scepticisme et dogmatisme.

Une telle démarche peut-elle être dangereuse ? N’est-ce pas le scepticisme qui est subversif ? Ou le dogmatisme qui devient pernicieux quand il veut imposer une vision du monde à la société ? Si l’on est attentif au sens des termes, une conviction qui constitue une menace pour la sûreté de l’État ne peut pas être qualifiée de « philosophique » sans abus de langage.

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Article issu du magazine n°146 janvier 2021 Lire en ligne
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