René Riesel. Droit dans ses bottes !
Il a été Enragé en Mai-68, situationniste, saboteur de cultures d’OGM. Et ce paysan et authentique libertaire ne désarme pas, loin de là ! Ses adversaires ? La société (post)industrielle, le capitalisme, bien sûr, mais aussi l’État. Rencontre avec un radical libre qui montre que l’on peut élever des moutons tout en prônant l’émancipation.
Il est une erreur commune à propos de ce qu’on appelle la « génération 68 » : elle aurait trahi ses engagements de jeunesse, enrichi l’esprit du capitalisme d’un lyrisme sexy, pris d’assaut les postes de pouvoir au lendemain de l’élection de François Mitterrand. C’est sans doute vrai, si l’on s’en tient à la version officielle de l’histoire : celle, consignée dans le volumineux Génération de Hervé Hamon et Patrick Rotman (deux tomes, Seuil, 1987-1988), qui a longtemps fait autorité, mais dont on a assez dit qu’elle était écrite, au milieu des années 1980, du point de vue des « vainqueurs » – Daniel Cohn-Bendit, Serge July, Bernard Kouchner. La preuve ? Le nom de René Riesel n’y est évoqué qu’une fois, en passant.
Dommage, car il est, avec quelques autres authentiques libertaires, l’un des principaux éléments déclencheurs de Mai-68. C’est en effet lui qui, à la tête du comité des Enragés, prend la tour administrative de l’université de Nanterre le 22 mars 1968 (Cohn-Bendit débordé a été obligé de suivre), et ce sont ces mêmes Enragés qui tracent les premiers et célèbres graffitis mi-surréalistes mi-situationnistes appelant au soulèvement : « Les syndicats sont des bordels. L’Unef [Union nationale des étudiants de France] est une putain », « Ne travaillez jamais » ou encore « Prenez vos désirs pour la réalité ».
Devenu éleveur de moutons sur le causse Méjean, il resurgira en 1998, avec une radicalité intacte, parmi les coordinateurs des opérations de « sabotage » (il tient à ce mot) des cultures d’organismes génétiquement modifiés (OGM) qui aboutiront à une prise de conscience hexagonale sur les dangers des chimères transgéniques.
Ainsi, rencontrer l’ex-compagnon de route du pape situationniste Guy Debord, c’est s’ouvrir à une autre histoire de Mai-68, ses origines, ses effets : profondément anarchistes, irrécupérables, toujours d’actualité.
C’est jeter une lumière plus ample sur ces « créations de situations » que sont aujourd’hui les « zones à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, Sivens ou Roybon, théâtres d’expérimentation inattendus d’un retour libertaire à la terre. C’est prendre la mesure d’une pensée politique « anti-industrielle » aussi rétive au capitalisme qu’à l’intervention de l’État, nourrie de Hegel, de Marx ou d’Orwell, et qui s’impose d’abord comme une philosophie du passage à l’acte : elle ne s’éprouve que dans une « action directe » – évidemment pacifique.
Mais rencontrer René Riesel, un dimanche d’hiver, à Paris, alors qu’il vient de boucler sa livraison de viande d’agneau à des particuliers, c’est aussi découvrir une trajectoire étonnante. Qui commence avec la guerre d’Algérie.
«Je me pince à la lecture de ces nouveaux généalogistes qui besognent à dénoncer en Sade un oncle d’Adam Smith, un inventeur de la “brutalité libérale” ! Le réarmement moral et la haine de la liberté font un retour triomphal !»
René Riesel
L’enfance de Riesel, né à Alger en 1950, est d’abord marquée par les bombes et les assassinats. Son père horloger-bijoutier et ancien militant communiste voit plusieurs de ses amis arabes assassinés par l’Organisation de l’armée secrète (OAS). « Pas rien, pour un gamin, d’enjamber le cadavre du marchand de légumes, de deviner l’état de siège, les hauts faits de l’armée française ou des commandos Delta. » Il éprouve un « dégoût mêlé de fascination » pour la violence. Et aime à se souvenir des « rodomontades des généraux putschistes fuyant comme des lapins en chantant : “Non, je ne regrette rien”… c’était assez farce ». Première leçon de philosophie politique : à la fois la nature intrinsèquement violente des appareils d’État et la fragilité masquée des pouvoirs établis. Découvrir Paris, à son arrivée en 1962, est un enchantement. « Je faisais de longues marches de Saint-Cloud, où nous habitions, jusqu’à Barbès, dont j’aimais l’atmosphère de souk que bannissait l’Alger des “Européens”. » Riesel s’éprend de l’épopée surréaliste et en tire la certitude, sadienne, que « la liberté est le crime qui contient tous les crimes » : « Je me pince à la lecture de ces nouveaux généalogistes qui besognent à dénoncer en Sade un oncle d’Adam Smith, un inventeur de la “brutalité libérale” ! Le réarmement moral et la haine de la liberté font un retour triomphal ! » Il lit avec avidité, fonde à 14 ans un groupe anarchiste nommé Sisyphe en référence au « Mythe » de Camus et découvre l’underground contre-culturel londonien. L’inspiration artiste des Provo d’Amsterdam et des situationnistes français, qu’il rencontre, le fascine. Et le bac en poche – qu’il passe en candidat libre –, il s’inscrit en philosophie à Nanterre, cette jeune université aux ambitions « modernistes », qui est encore à l’époque un chantier boueux cerné de bidonvilles.
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