Sortir de l’état d’urgence pour renforcer la tentation sécuritaire ?
[Actualisation : Après révision du projet de loi, le Conseil d’État donne son feu vert à la transposition dans le droit commun de mesures issues de l’état d’urgence.] Le gouvernement d’Édouard Philippe s’apprête à présenter un projet de loi prévoyant la sortie de l’état d’urgence... au profit d’une entrée de ces mesures d’exception dans le droit commun.
Le gouvernement du Premier ministre a prévu un avant-projet de loi « renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure », selon Le Monde. Ce document transmis au Conseil d’État, dont le quotidien s’est procuré une copie, prévoit de faire entre les mesures d’état d’urgence dans le droit commun. Il sera présenté au Conseil des ministres, le 21 juin, alors qu’un sixième projet de loi prolongeant l’état d’urgence sera discuté.
Que prévoit, au nom d’une logique sécuritaire, ce durcissement de la loi ? Toutes les mesures de l’actuel état d’exception ! Soit, les assignations à résidence, les perquisitions administratives, la défintion de zones de protection et de sécurité… décidées sur ordre du ministère de l’Intérieur et des préfets, sans interventions d’un juge judiciaire. Une différence, en revanche : ces mesures ne devraient s’appliquer qu’aux questions antiterroristes et non contre d‘autres situations de trouble, comme ce fut le cas lors de la COP21 – en novembre, des militants écologistes avaient été assignés à résidence – ou des protestations contre la loi El Khomri – des opposants avaient été interdits de manifester.
Courant opportuniste ?
Cette sortie de l’état d’urgence au profit d’un renforcement des mesures sécuritaires dans le droit commun a de quoi alarmer. Dans un entretien qu’elle nous accordait en octobre, la philosophe spécialiste du droit Mireille Delmas-Marty invitait à s’y préparer : « l’état “d’urgence” est conçu pour répondre à une situation temporaire. Si le terrorisme est appelé à durer, il faut sortir de l’état d’urgence et affronter une question tragique : sommes-nous prêts à renoncer à certaines garanties de l’état de droit ? Si oui, lesquelles, et dans quelles limites ? Il ne s’agit pas de simples “arguties juridiques” mais d’un débat fondamental pour nos libertés. »
Alors, que faire, puisque ce débat manque, laissant champ libre aux plus radicaux ? En guise de réponse, Mireille Delmas-Marty « propose d’appliquer le droit existant et d’en évaluer les effets avec précision et objectivité, comme s’y efforce le procureur de Paris, au lieu de riposter à chaque attentat par une nouvelle loi. Alors que notre arsenal répressif semble suffisant, un courant opportuniste demande des mesures de plus en plus radicales. »
À quelques jours des élections législatives, le gouvernement d’Emmanuel Macron cède-t-il à l’opportunisme en proposant cet avant-projet de loi ? Fait-il pencher l’équilibre entre liberté et sécurité, qui traverse aujourd’hui le clivage politique, au profit de la seconde, s’éloignant ainsi du cœur libéral de la politique défendue par le nouveau président ?
La philosophe mettait en garde contre les courtes vues et les calculs simplistes : « Le problème est le suivant : la pondération des intérêts ne suffit pas à garantir un équilibre tant ces deux concepts sont hétérogènes. En terme de sécurité, il y a des chiffres sur les combattants impliqués, les dossiers suivis par le parquet, les individus mis en examen, placés en détention provisoire ou condamnés. Mais les libertés, comment les mesurer ? À ce jeu du quantitatif et du qualitatif, les libertés sont toujours perdantes. »
Alors que le Conseil d’État vient de censurer vendredi 9 juin une disposition de cet avant-projet de loi autorisant les préfets à décider l’« interdiction de séjour » à une personne si elle cherche à « entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics », au prétexte que ce pouvoirl n’assure pas « pas une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif constitutionnel de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit de mener une vie familiale normale », ne l’oublions pas.
La juriste Mireille Delmas-Marty dénonce la loi Loppsi et les dérives de la politique sécuritaire des États. Elle y voit une menace des libertés sans garantie de sécurité.
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