Tous cosmopolites ?

Martin Duru publié le 3 min

Esprit de Kant, es-tu (encore) là ? Il semblerait : aujourd’hui, son cosmopolitisme, dont la pièce maîtresse est le Projet de paix perpétuelle (lire le cahier central), demeure une précieuse boussole pour de nombreux penseurs qui cherchent à rénover l’Union européenne ou à penser une gouvernance mondiale non inféodée aux diktats du marché. Commençons, en cette période d’élections, par l’Europe. Le philosophe Jean-Marc Ferry revendique l’héritage kantien et estime que l’Union européenne doit être conçue, et approfondie dans le sens d’une « union cosmopolitique ». Qu’est-ce à dire ? Le projet européen implique une optique « post-étatique » ; la pluralité des États nations est transcendée par une unité de nature essentiellement politique. Selon Ferry, le ciment de l’Union ne renvoie pas à de supposées racines chrétiennes ou culturelles ; il réside dans l’acceptation « des principes et des règles de l’État de droit démocratique ». Conséquence : les frontières de l’Union pourraient être élargies à des pays comme la Turquie ou l’Ukraine, dès lors que les principes de la liberté et des droits de l’homme y sont constitutifs. Quant au modèle institutionnel à prévoir, il ne tend pas vers la création d’un grand État fédéral européen qui engloberait et mettrait au pas les souverainetés nationales. À rebours de cette vision, portée notamment par Habermas, Ferry plaide pour une fédération régie par un « cosmopolitisme processuel » : la concertation entre les États devrait être permanente, et les politiques publiques coordonnées de manière plus étroite encore. Enfin, il s’agit de renforcer le domaine du droit cosmopolitique au sens strict, soit la possibilité pour les citoyens de l’Union de s’installer librement dans n’importe quel pays membre, de participer à la vie politique ou fiscale… On le voit : le lien transnational s’établit sur des bases juridiques, dans la lignée de Kant qui déclarait à propos de son cosmopolitisme : « Il ne s’agit pas de philanthropie, mais de droit. »

Expresso : les parcours interactifs
Jusqu’où faut-il « s’aimer soi-même » ?
S'aimer soi-même est-ce être narcissique ? Bien sûr que non répondrait Rousseau. L'amour de soi est un formidable instinct de conservation. En revanche, l'amour propre est beaucoup plus pernicieux...Découvrez les détails de cette distinction décisive entre deux manières de se rapporter à soi-même.
Sur le même sujet
Article
3 min
Chiara Pastorini

Selon Daniele Archibugi, il est possible d’imaginer que celui-ci ne soit pas despotique. Plus que jamais nécessaire, cette entité politique rencontrerait pourtant les mêmes difficultés que nos démocraties.


Article
5 min
Jules Ferry

Nous reproduisons ci-dessous la lettre de Jules Ferry aux instituteurs, rédigée un an après le passage de la loi sur l’enseignement primaire…

Lettre de Jules Ferry aux instituteurs, 1883

Article
4 min
Helena Schäfer

Le Brexit a eu pour effet collatéral de renforcer le nationalisme des Écossais, qui réclament, de plus en plus, leur indépendance vis-à-vis du…

Écosse : un nationalisme cosmopolite ?




Dialogue
12 min
Martin Legros

Dominique Bourg et Luc Ferry sont philosophes et très au fait des enjeux écologiques. Mais, sur l’avenir du nucléaire, ils ne sont d’accord sur rien. Par-delà les chiffres d’experts, leur échange met en lumière les principaux clivages…