Hors-série "IA, le mythe du XXIe siècle"

Travail : avec ou contre les robots ?

Apolline Guillot publié le 10 mai 2023 11 min

Que restera-t-il de nos métiers quand les machines intelligentes sauront presque tout faire ? Si les pessimistes craignent l’éradication pure et simple de beaucoup d’entre eux, les optimistes tempèrent cette peur du « grand remplacement » en brandissant des freins réglementaires et en évoquant plutôt une collaboration hybride, où humains et machines ne seraient ni maîtres ni esclaves, mais bien collègues.



Deux tiers des emplois actuels pourraient être affectés, directement ou indirectement, par les capacités d’automatisation des intelligences artificielles génératives sur le modèle de GPT4. C’est le constat de Goldman-Sachs, sur la base d’une étude, parue fin mars, reposant sur des données collectées aux États-Unis. Si ces rapports alarmants ne doivent pas être pris pour parole d’évangile, puisqu’ils s’appuient sur des échantillons souvent limités géographiquement et ne prennent pas en compte la faisabilité politique et technique de telles évolutions, ils ne peuvent manquer d’interroger. Selon Goldman-Sachs, pas moins de 25 % des postes actuels seraient susceptibles d’être supprimés. Les professions administratives et juridiques seraient les plus touchées, avec environ 44 à 46 % de postes supprimés. Goldman-Sachs a peut-être un peu surestimé le rythme de l’innovation, la vitesse d’adoption des nouvelles technologies et leur complémentarité, car les chercheurs d’OpenAI sont plus nuancés. Dans un long article paru mi-mars, ils estiment que seuls 19 % des emplois existants verront la moitié de leurs tâches quotidiennes « exposée » à une hybridation ou à un remplacement par un système intelligent dans les prochaines années. Mais les deux études s’accordent pour dire que la vaste majorité des tâches seront réalisées en collaboration plus ou moins étroite (au moins 10 % du temps) avec des systèmes intelligents – que ce soit pour optimiser la logistique, gagner du temps sur les tâches répétitives ou concevoir des contenus originaux.

 

Il ne s’agit donc pas du « grand remplacement » de toutes les capacités cognitives humaines, d’autant plus que ces projections ne prennent pas en compte les nombreux facteurs sociaux, économiques et réglementaires déterminants. La faisabilité technique ne garantit pas la faisabilité politique ou le gain réel de productivité au travail. Mais passée une phase de transition où les gains de productivité vont être assez faibles, voire négatifs, l’intelligence artificielle va nécessairement diminuer le temps de travail global dans les métiers existants – tout en en créant d’autres, mais dans une moindre mesure. Selon Daniel Susskind, économiste et auteur d’Un monde sans travail (version originale sortie en 2020), le « chômage technologique » tant redouté depuis le début de la révolution industrielle devrait devenir un phénomène massif. « Dans les cent années qui nous attendent, souligne-t-il, les progrès technologiques vont nous rendre plus riches que jamais – alors même qu’ils nous entraînent vers un monde où le travail sera une denrée rare. » La fiabilité de telles prédictions générales est certes douteuse (puisqu’elles passent sous silence les conditions concrètes de la généralisation de telles technologies dans chaque pays du monde), mais elles posent une question centrale : à quoi ressemblera le travail à l’ère de l’IA ?

 

La révolution sera d’abord symbolique. Demain, l’arrivée des systèmes intelligents à tous les niveaux de l’organisation du travail risque de bouleverser en profondeur ce qu’on appelle réellement « travailler » – et l’importance que le travail occupe dans nos vies. L’automatisation progressive, combinant progrès dans la robotique et dans l’intelligence artificielle, semble rendre l’omniprésence du travail bel et bien « caduque, car il n’est plus nécessaire de travailler plus pour produire plus, ni que le niveau de vie global augmente avec la production », remarquait André Gorz dans Métamorphoses du travail (1988). Le programme apparaît réjouissant : « Pour la première fois dans l’histoire moderne, le travail payé pourra donc cesser d’occuper le plus clair de notre temps et de notre vie. La libération du travail devient pour la première fois une perspective tangible. »

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