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© Hergé/Moulinsart 2020

Entretien

Vainqueur par chaos

Raphaël Enthoven, propos recueillis par Sven Ortoli publié le 30 décembre 2020 10 min

Qu’est-ce qui rend si brillant Les Bijoux de la Castafiore ? Son intrigue simple et compliquée à la fois ? Son monde régi par les suspicions et les fausses rumeurs ? Sa propension à brouiller la vue du lecteur ? Pour Raphaël Enthoven, tout repose sur une succession de délicieux hasards qui se rient de la logique... et trouvent miraculeusement leur harmonie dans le chaos.

 

Parmi les aventures de Tintin, vous aimez tout particulièrement Les Bijoux de la Castafiore. Pourquoi ?

Raphaël Enthoven : Parce que la seule chose que raconte cet album infernal, c’est la constante victoire du hasard sur la providence. Chaque fois qu’une piste se dessine, ou qu’un soupçon apparaît, il est immédiatement battu en brèche par le concours de circonstances qui, un instant, nous a donné l’illusion d’un sens. Quand Tintin suit les traces de Wagner jusque dans le grenier, c’est une impasse. Les Dupondt accusent les Roms – que tout accuse – du vol de l’émeraude qu’une pie a dérobée. Les mêmes se trouvent en route pour Moulinsart avant même que leur présence ne soit requise par la première disparition des bijoux. Les fusibles sautent avant que les bijoux ne disparaissent une première fois, mais ce n’est qu’un court-circuit. La petite Miarka, accusée d’avoir volé les ciseaux, les a en fait trouvés au pied de l’arbre où vit la pie. En somme, hormis le photographe du Tempo qui parvient à se glisser dans la foule des journalistes, il n’y a jamais de coupable, ni d’intention maligne. Chaque soupçon, chaque hypothèse est aussitôt contrarié. Toute coïncidence n’est qu’une coïncidence. La contingence est toute-puissante, le hasard est roi dans cet enchevêtrement incurablement stochastique. Dans Les Bijoux de la Castafiore, qui est une sorte d’équivalent dessiné de Jacques le Fataliste, Dieu lui-même a la tête ailleurs et c’est la possibilité-même d’un récit qui vacille. « En effet, de-ci de-là, écrit Nietzsche dans Le Gai Savoir (1882), il y a quelqu’un qui se joue de nous – le cher hasard : à l’occasion, il nous conduit la main et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui réussit alors sous notre main insensée. »

 

Le hasard est toujours présent dans Tintin ?

Bien sûr. Et il arrange souvent le scénariste, comme dans L’Or noir où l’apparition finale (et salvatrice) du capitaine Haddock n’est jamais expliquée. « Eh bien, c’est à la fois très simple et très compliqué… », commence le capitaine, avant d’être, comme Jacques le Fataliste au récit de ses amours, systématiquement interrompu dans sa narration. « Très simple et très compliqué »… On ne saurait mieux qualifier l’événement hasardeux qui revêt la valeur d’un miracle. Au-delà de cette profession de foi, simple et compliquée, tout le fil des aventures de Tintin est tissé de convergences évolutives entre des lignes d’événements qui n’ont rien à voir et souvent rien à se dire. Dans Les Bijoux, une cinquantaine de monades non ordonnées se déploient en un genre de mouvement brownien, aléatoire. Moulinsart est un espace sans Dieu, sans ordre, où les causes et la nécessité défaillent. C’est une maison hantée !

 

Le temps, lui aussi, est comme désarticulé par cette absence de nécessité ?

Inévitablement. Dans ce chaos d’intrigues désarticulées, qui se croisent avant d’aller tituber ailleurs, la continuité du temps n’est qu’une exception. Le reste du temps, l’album est fait de contretemps, de décalages, d’informations juxtaposées et d’une linéarité disjointe par les quiproquos. Coco le perroquet, par exemple, ne fait que répéter ce qu’il entend : c’est un porte-parole dont la parole, n’étant qu’un écho, arrive toujours trop tard. Quand le téléphone sonne, c’est une fois que Haddock a dit « Allô ? » que Coco fait « Tring, tring, tring ». Et quand Haddock s’énerve au point d’en perdre les mots (dans une vignette sublime, qui rappelle irrésistiblement le moment où il découvre la bouteille de whisky vide dans Tintin au Tibet), c’est alors que Coco, reprenant la Castafiore, répond « Allô, j’écoute ? ». Or, Coco fait exactement l’inverse. S’il écoutait, il ne serait pas à contre-temps. Coco ne peut pas « écouter » puisque Coco répète. En cela, plus que l’animal de compagnie du capitaine, Coco est exactement le pendant de la Castafiore elle-même, c’est-à-dire de Narcisse en personne (qui rit « de [s]e voir si belle en ce miroir », seule phrase connue de tout le répertoire de la cantatrice) à qui il faut un écho qui ne le rattrape jamais. En somme, Coco et la Castafiore incarnent deux modalités de la répétition. Le premier, par son psittacisme, est toujours à contre-temps. La seconde, par l’emphase qu’elle y met, augmente les choses en les répétant, comme son reflet augmente l’image qu’elle a d’elle-même. Les tautologies de la Castafiore (« Tristan Bior, on dira ce qu’on veut c’est toujours Tristan Bior ») sont toujours des éloges. Comme quand on dit « un sou est un sou » le second « sou » est nanti de toutes les nécessités de la vie, quand la cantatrice déclare « Paris-Flash c’est quand même Paris Flash », le second « Paris-Flash » résonne comme une hyperbole. À ces deux façons de répéter les choses s’ajoute une troisième, qui vient encore davantage brouiller les événements, c’est le fameux psittacisme des Dupondt : « Je dirais même plus… » Car les Dupondt, à l’inverse de la Castafiore, n’ajoutent jamais rien quand ils annoncent « dire plus », alors qu’en répétant deux fois le même terme, la Castafiore leste le second d’une force considérable. Entre la cantatrice qui augmente ce qu’elle redit, le perroquet qui répète à contretemps et les détectives qui croient ajouter quelque chose en redisant ce qui est, la boucle du temps est définitivement disloquée. 

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