Entretien

« Vos amis sont peut-être des zombies, et vous ne le savez pas ! »

Jaegwon Kim, propos recueillis par Marine Le Breton publié le 6 min

Dominante outre-Atlantique, la philosophie analytique aime à se casser la tête sur le « mind-body problem » : ou comment l’esprit pourrait-il bien naître dans un monde essentiellement physique ? Nous avons posé la question à l’un de ses principaux représentants : Jaegwon Kim.

 

Les liens entre corps et esprit, ce qu’on appelle le « mind-body problem », sont au cœur de la philosophie analytique contemporaine. Cette problématique se rattache-t-elle à la distinction de l’âme et du corps posée par Descartes ?

Jaegwon Kim : Descartes est considéré comme le lointain fondateur de la philosophie de l’esprit. Selon lui, le monde est constitué de deux types de substances * : les corps, étendus dans l’espace, et les âmes, existant en dehors de l’espace. Tout le problème vient de ce que nous, les hommes, sommes l’union d’un corps et d’une âme. Comment concevoir cette union entre deux substances de natures métaphysiquement distinctes ? Comment une matière étendue dans l’espace et une substance immatérielle peuvent-elles s’unifier en un tout pour former la personne humaine ? C’est un mystère qui défie la connaissance et l’imagination ; mais ce mystère est résolu dans l’usage quotidien que nous faisons de notre corps. « Nous ne sommes pas logés dans notre corps comme un pilote dans son navire », précise Descartes, c’est-à-dire que nous ne sommes pas extérieurs à ce corps que tantôt nous commandons, qui tantôt nous commande. Descartes ajoutait que c’est notre âme qui nous définit en propre et qu’elle subsiste lorsque nous perdons notre corps, dans la mort physique, par exemple. Mais, indépendamment de ce dernier point, l’articulation qu’il pose entre deux substances hétérogènes qui sont unies dans la vie est le point de départ de toute la tradition dualiste.

 

Peut-on être cartésien aujourd’hui ?

Voici l’argument majeur des cartésiens : certaines caractéristiques importantes de la nature humaine, telles la conscience, la rationalité ou la sensibilité morale, ne peuvent être rendues intelligibles si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle nous sommes uniquement des assemblages de particules matérielles. Mais l’idée selon laquelle nous sommes des âmes immatérielles permet-elle de comprendre ce qu’est un homme ? Pour moi, ce n’est qu’un obstacle.

Expresso : les parcours interactifs
Kant et le devoir
Au quotidien, qu’est-ce que ça veut dire d’agir moralement ? Et est-ce que c’est difficile de faire son devoir ? Ces questions ne sont pas anecdotiques pour quelqu’un qui souhaite s’orienter dans l’existence. Et, coup de chance : Emmanuel Kant y a répondu. 
Sur le même sujet
Article
4 min
Alexandre Lacroix

La téléportation, dont nous avons rêvé avec Star Trek, est peut-être ce vers quoi tend l’accélération de nos moyens de transports et de communication. Mais pour Paul Virilio, elle ferait de nous des êtres végétatifs, incapables de…


Article
3 min
Jean-Marie Pottier

Dans Les Deux Corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge (1957), Ernst Kantorowicz donne une définition de cette « …

Les deux corps des présidents américains

Bac philo
2 min
Nicolas Tenaillon

La matière désigne en physique la substance de tous les corps. L’esprit définit le principe de la pensée et de la réflexion humaine. Il n’est pas nécessairement situé dans un sujet (le Saint-Esprit du christianisme…). Il désigne d…



Article
2 min
Mathieu Mulcey

Cela éviterait bien des malentendus ! Mais pour le philosophe de l’esprit Jaegwon Kim, ce serait aussi la fin de l’intimité. Et donc de notre individualité.



Article
3 min
David Le Breton

Pourquoi prendre des risques et nous mettre en danger? Pour le sociologue David Le Breton, auteur de “Conduites à risque. Des jeux de mort au jeu de vivre” (PUF, 2004), la prise de risque est un jeu symbolique avec la mort, qui révèle l…


Article
4 min
Barbara Bohac

Pour Breton, l’art de Chirico préfigure le surréalisme par son étrangeté onirique et ses symboles mystérieux renvoyant à l’inconscient. Pourtant, la quête du peintre doit plus à Nietzsche qu’à une fascination pour l’occulte.