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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Campbell / Unsplash

Profils philo

Vous avez un message !

Victorine de Oliveira publié le 24 mars 2021 5 min

Il n’y a rien de plus banal, de plus anodin que de recevoir un texto ou une notification sur la messagerie privée de nos réseaux sociaux. Et pourtant, cela plonge certains dans des calculs sans fin. Dois-je répondre immédiatement au risque de passer pour un no life ? Dois-je soupeser chaque virgule de ma réponse au point de mettre dans tous mes messages l’enjeu d’un câble diplomatique ? Ou dois-je laisser systématiquement passer le quart d’heure de politesse, montre en main, au point de passer pour un control freak ? Les multiples notifications que nous recevons quotidiennement sur nos smartphones génèrent leur lot d’anxiété. Et le délai qu’il nous faut pour taper enfin quelques mots révèle un certain rapport au temps et au monde que les philosophes peuvent nous aider à comprendre. 

Si la plupart grattaient plutôt du papier pour répondre aux sollicitations de leurs proches, voyons comment Bergson, Héraclite, Nietzsche, Ricœur et le sceptique Sextus Empiricus auraient réagi avec un téléphone portable dans leur poche.

 

Le bergsonien, qui répond une semaine après 

À vrai dire, vous aviez même oublié lui avoir écrit. Quelle était la question déjà ? Ah oui : « Et toi, t’es plutôt AstraZeneca ou Pfizer ? » Certes, la réponse n’est pas évidente. Mais si vous lui aviez demandé sa couleur préférée, il vous aurait probablement zappé de la même manière, jusqu’à ressurgir au moment où vous vous y attendez le moins. Si vous avez le sentiment que votre ami ne vit pas dans le même espace temporel que le vôtre, c’est probablement qu’il s’est installé dans la durée. Il s’agit d’un concept qu’Henri Bergson développe dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), et qu’il tient à distinguer du temps objectif mesuré par les horloges. La durée, au contraire, correspond plutôt à un vécu subjectif, à une façon de relier entre eux nos différents états de conscience comme un compositeur le ferait de la mélodie et de l’harmonie. « En dehors de moi, dans l’espace, il n’y a jamais qu’une position unique de l’aiguille et du pendule, car des positions passées il ne reste rien. Au dedans de moi, un processus d’organisation ou de pénétration mutuelle des faits de conscience se poursuit, qui constitue la durée vraie » : dit comme ça, l’explication ressemble à une excuse rudement bien tournée pour snober la plupart de vos messages. Mais après tout, rien ne vous empêche d’imposer à votre tour votre propre durée.

 

L’héraclitéen, qui réagit dans la minute

Votre téléphone n’a pas le temps d’afficher « envoyé » qu’il vibre quasi instantanément de la réponse de votre interlocuteur. S’ensuit une conversation faite de répliques au tac au tac, aussi fluide et naturelle que le courant d’un fleuve qui vous emporte sur plusieurs heures. Il y a de fortes chances que votre ami se reconnaisse dans ce fragment signé d’Héraclite : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » Le philosophe grec remarque ainsi que toute chose est soumise au devenir et que rien ne dure. Si par commodité nous donnons un nom permanent aux choses – la Garonne, ou la Seine, par exemple –, cela n’enlève rien au fait que l’eau qui coule dans leur lit n’est jamais la même, que le tracé de ce même lit peut légèrement varier au fil des siècles, sans parler de l’écosystème qui les entoure. Pour Héraclite, nous baignons dans le temps comme dans un flux irréversible, sans qu’il nous soit possible de revenir en arrière. Ni de scroller vers le début de cette loooongue conversation, tant votre ami a de la répartie !

 

Le nietzschéen, qui supprime ses messages

Un rien intempestif celui-ci, qui vous répond, pour finalement effacer le message, refait une tentative, se ravise à nouveau… Si son hésitation est touchante, il tape un peu sur le système. À se demander si lui aussi n’est pas armé du marteau nietzschéen. Dans la Seconde considération intempestive. De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie (1874), Nietzsche déplore une « fièvre historienne » qui consiste à tout conserver, archiver, au risque d’une paralysie du présent et d’un étouffement de la vie : « Il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit à l’être vivant et finit par l’anéantir, qu’il s’agisse d’un homme, d’un peuple ou d’une civilisation. » La force vitale commande au contraire une forme d’oubli qui permet l’élan vers l’avenir. La notion d’histoire est certes commode : elle permet de donner l’illusion d’un sens, d’une trajectoire des évènements, et évacue l’aspect tragique de l’existence humaine. Aussi Nietzsche ironise-t-il sur la jalousie des hommes envers les bêtes, dont ils envient le bonheur. « Cela vient de ce que j’oublie chaque fois ce que j’ai l’intention de répondre », explique la bête. « C’est une merveille : le moment est là en un clin d’œil, en un clin d’œil il disparaît » : votre ami écrit tout simplement comme une bête !

 

Le ricœurien, qui écrit une tartine 

Celui-ci exige carrément que vous vous asseyez dix minutes afin de prendre le temps de lire une réponse rédigée comme on ne s’écrit plus de lettres : il y est question de ce qu’il a mangé au petit déjeuner, de la météo, de la dernière conférence de presse de Jean Castex et de sa tentative d’exégèse, du dernier livre qu’il a lu ou du dernier épisode de Grey’s Anatomy, pour conclure, enfin : « OK, on se retrouve à 18 heures, j’ai encore plein de trucs à te raconter ». Dans Temps et Récit (3 tomes, 1983-1985), Paul Ricœur souligne à quel point le récit nous permet de mettre en forme notre expérience du temps. Cette faculté à mettre en ordre les événements qui jalonnent notre vie constitue même ce qu’il nomme l’« identité narrative », d’autant plus solide qu’elle fréquente des œuvres de fiction. Ricœur est toutefois inquiet : « Peut-être, en effet, sommes-nous les témoins – et les artisans – d’une certaine mort, celle de l’art de conter, d’où procède celui de raconter sous toutes ses formes. Peut-être le roman est-il en train lui aussi de mourir en tant que narration. » Et cela ne concerne pas que les lecteurs de romans, mais tout un chacun : « Nous n’avons aucune idée de ce que serait une culture où l’on ne saurait plus ce que signifie raconter. » Ne vous sentez donc pas coupable si après la lecture de son pavé, vous vous jetez sur la story de votre ami.

 

Le sceptique, qui vous ghoste carrément

De lui, vous obtiendrez au mieux un simple « vu ». Si votre premier réflexe serait de parier sur son impolitesse, sa  muflerie, voire son absence totale de cœur à tendance psychopathologique, tout s’éclaire si vous vous souvenez des sceptiques anciens, notamment de Sextus Empiricus et de Pyrrhon. Comme les autres écoles de philosophie ancienne, l’épicurisme et le stoïcisme, le scepticisme vise l’ataraxie de l’âme, c’est-à-dire son absence de trouble. Pour l’atteindre, les sceptiques recommandent la suspension du jugement, soit l’épochè : puisqu’il est difficile, voire impossible, de parvenir à une quelconque vérité sur les choses, autant reconnaître cette impasse et se refuser à tout commentaire. Résultat : une indifférence et une impassibilité totales à l’égard des événements, synonyme de la plus grande des vertus. La plupart des sceptiques optaient ainsi pour le silence, ou pour le dialogue exclusivement avec eux-mêmes. Franchement, autant supprimer le contact. 

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