Hors-série "Le monde selon Michel Serres"

Yves Coppens : de Lucy à Petite Poucette

Yves Coppens, propos recueillis par Sven Ortoli publié le 6 min

Il n’y a pas si loin de la paléontologie à la philosophie. Une même question obsède les deux disciplines : Qu’est-ce que l’homme ? Et elles s’accordent sur la nécessité d’inscrire notre histoire dans une narration plus vaste. Celle du Grand Récit, axe d’interprétation qu’Yves Coppens partage avec son ami Michel Serres.

 

Que vous inspire l’idée de Grand Récit ?

Yves Coppens  L’idée est tellement juste que je regrette de ne pas l’avoir eue avant Michel ! Avec le Grand Récit, il a inventé un terme qui parle immédiatement parce qu’il inscrit l’humanité dans toute une longue histoire de narrations, celle de l’Univers, celle de la Terre et celle de la vie. Michel Serres possède – c’est un don – un regard grand angle qui lui permet de saisir le concept qui se cache derrière un fait ou une pratique en cours.

 

Une pratique en cours… ?

Oui, parce qu’un certain nombre d’entre nous, que ce soit chez les paléontologues ou chez les astronomes et d’autres, pratiquaient en somme le Grand Récit comme Monsieur Jourdain la prose. Si je me reporte à mes premières années sur le terrain, c’était la manière naturelle de voir les choses. D’envisager des temporalités différentes. Par exemple, lorsque je suis parti travailler dans le sud de l’Éthiopie vers 1967, j’ai commencé par survoler la zone pour évaluer la dimension du bassin sédimentaire. J’aurais pu me contenter du petit bout de terre que l’on m’avait assigné comme terrain de fouilles puisqu’il était bourré de fossiles, mais envisager la totalité du bassin permettait de déterminer ce qu’il pouvait contenir, et ainsi de circonscrire l’espace et, par suite, l’histoire. J’ai fait ensuite le tour à pied. Des centaines de kilomètres carrés ! Mais il fallait bien les parcourir pour situer mon espace de recherche. J’ai toujours eu cette manie, ou cette manière, de circonscrire le sujet que j’avais à traiter avant de passer à l’autre bout de la lorgnette. Pour le temps, c’est pareil. Je commence toujours mes conférences à la première perception de l’Univers il y a 14 milliards d’années, même si je traite des derniers millions ! Michel m’a gentiment dit un jour : « Au fond, Lévi-Strauss s’est occupé de l’espace, et toi du temps ». Ce n’est pas faux en ce sens que ma discipline est fondamentalement historique. Elle s’inscrit dans le temps et ne peut pas exister sans un calendrier et des datations.

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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