“La Laitière et le Pot au lait” : Perrette, entre Hermès et Petite Poucette
Michel Serres projetait de consacrer un grand ouvrage aux Fables de La Fontaine. Sa mort en 2019 l’en aura empêché. Les éditions Le Pommier ont toutefois pu rassembler les textes qu’il avait consacrés à l’auteur du XVIIe siècle, à partir des notes trouvées dans son ordinateur, et en faire un livre posthume, La Fontaine (Le Pommier, 2021). Après Les Compagnons d’Ulysse lundi, le Le Lion et le Rat mardi et Le Loup et le Chien hier, quatrième lecture du fabuliste par le philosophe : La Laitière et le Pot au lait, qui, sur le chemin du marché, spécule sur les « veau, vache, cochon, couvée » qu’elle va pouvoir se payer et danse, et mime… et tombe. Une histoire d’argent et de corps, tous deux capables d’inventer des fables.
C’est avec tendresse que Michel Serres regarde la jeune Perrette gambader en cotillon simple et souliers plats. Cette fois-ci, il gourmande la morale de La Fontaine, qui réduit sa propre fable à la vanité d’une pauvresse qui rêve de richesse et de châteaux en Espagne : « Lourds d’honneurs et de rois jaloux, ce dédain ridiculise une femme au corps léger court vêtu, courant à pas rapides, intelligente. Leçon pesante, fille volante. » Car c’est bien la légèreté de Perrette et sa fluidité dans le monde qui intéressent le philosophe. Avec ses pieds ailés, elle ressemble à Hermès le messager ou à un ange, figures du mouvement et de la communication qui peuplent son œuvre. À bien des égards, parce qu’elle est femme, jeune, rapide, et tient sur sa tête, dans son pot au lait, la virtualité de la richesse, elle ressemble aussi à sa Petite Poucette, son dernier personnage, qui, en tapotant légère et rapide sur son smartphone, tient « sa tête entre ses pouces ».
Dans son livre posthume, Perrette occupe donc à elle seule un chapitre entier, formidable texte comme sorti d’un trait, où le philosophe aurait sans doute trouvé peu à reprendre. De son analyse fournie, qui pense elle aussi à sauts et gambades, on retiendra deux directions.
La première s’intéresse à l’argent, et décrypte dans la fable toute une histoire, philosophique, anthropologique et religieuse, de l’échange de valeurs : ou le rapport entre la monnaie et la marchandise, entre l’argent, rapide, léger, doux, et le bétail, lent, lourd, dur. Mais aussi le rapport entre des choses disparates comme « veau, vache, cochon, couvée » et l’unicité simple de l’argent, « ce qu’il y a de blanc dans ce que nous appelons le liquide : monnaie ou lait. » L’argent est, dit-il en reprenant Marx, « l’équivalent général ».
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