Les Cinq Livres des faits et dits de Gargantua et Pantagruel
Une recension de Philippe Garnier, publié leFerdinand de Saussure écrivait que l’on ne meurt pas exactement dans la même langue que celle que l’on a entendue à sa naissance. Le temps y installe une modification continue, imperceptible à l’échelle d’une existence, mais, à la longue, aussi radicale qu’une frontière géographique. Après cinq siècles, que peut-on encore comprendre à sa propre langue ? Peut-on la traduire d’elle-même vers elle-même ?
Sur ce point, Rabelais s’est montré prémonitoire. Son Quart Livre ne raconte-t-il pas l’épisode des « paroles gelées » ? Au terme d’une longue navigation qui le mène avec Panurge vers la mer glaciale, Pantagruel met la main sur ces étranges congères : « Lors nous iecta sus le tillac plènes mains de parolles gelées, & sembloient dragée perlée de diverses couleurs […] Mais ne les entendions, Car c’estoit languaige Barbare. » Ce que Marie-Madeleine Fragonard modernise ainsi : « Alors il nous jeta sur le tillac de pleines poignées de paroles gelées et elles semblaient des dragées perlées de diverses couleurs […] Mais nous ne les comprenions pas. Car c’était langage barbare. » Le mot « dragée » a survécu, mais « tillac » a quasiment disparu. Pourtant, cette édition bilingue le conserve, et c’est aussi bien. On se dit que l’idée de langue contemporaine est un leurre. C’est une capture d’écran sur un film qui ne s’arrête jamais.
L’œuvre de Rabelais enchevêtre archaïsmes et néologismes, parler savant et populaire, expressions locales et latinismes. Au fil des pages, une pensée vieille d’un demi-millénaire se livre à nous. Elle est multiple, foisonnante et souvent indécidable. Est-ce un manifeste humaniste qui promeut l’éducation contre la tradition ? Est-ce au contraire, comme le soutenait Mikhaïl Bakhtine, la revanche du rire paillard du Moyen Âge sur le savoir de la Renaissance ? Est-ce un rééquilibrage de la philosophie par le burlesque ? Dans la langue comme dans les scènes racontées, on assiste à une constante inversion du haut et du bas. On dirait que la subversion rabelaisienne surgit de partout, qu’elle se contredit, qu’elle s’en fiche, qu’elle cherche à faire parvenir des messages codés qui n’ont pas tant d’importance, qu’elle annule la possibilité d’une vérité construite et continue. Gargantua, futur puits de science et de sagesse, naît en sortant de l’oreille de sa mère, prise de colique après une indigestion. Le ventre, les fluides, le rire, le temps… et sans doute aussi la matière énigmatique de la langue : tels sont les thèmes qui font de Rabelais un éternel contemporain.
Édition publiée sous la direction de Marie-Madeleine Fragonard avec la collaboration de Mathilde Bernard et Nancy Oddo , 263 illustrations.
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