Lointain souvenir de la peau

Une recension de Catherine Portevin, publié le

C ’est « une petite tribu d’hommes obligés de vivre ensemble dans une caverne en pleine ville ». Tous délinquants sexuels en liberté conditionnelle, surveillés par un bracelet électronique. Le seul interstice urbain légal pour ces parias est un camp précaire et illégal sous un viaduc autoroutier entre la ville de Calusa (Floride) et ses îles de milliardaires. Voilà la Caverne moderne de Russell Banks. S’y retrouvent des hommes dirigés par leurs fantasmes, accros du porno, pédophiles, criminels que produit une société qui virtualise les corps et érotise ses enfants. Lointain souvenir de la peau s’ouvre comme Les Métamorphoses d’Ovide : « Me voilà prêt à dire la façon dont les corps se sont transformés en d’autres corps. » Et il y aura la re-création du monde, un déluge qui balaiera peut-être la corruption ou l’illusion pour construire un homme nouveau, ainsi qu’un recyclage et un éternel retour.

La métamorphose ici est celle des deux personnages principaux : au fond de la « caverne », le Kid, au corps de gamin, virtualité d’homme, puceau mal grandi dans la consommation effrénée de films porno sur Internet ; et le Professeur qui vient l’en sortir, un sociologue géant et obèse, au QI monstrueux, qui, comme le Surhomme nietzschéen, a exploré toutes les virtualités de son intelligence et expérimenté les métamorphoses les plus contradictoires jusqu’au suicide. Dans cette caverne, ironiquement, « Platon le Grec » n’est que le détenteur du groupe électrogène (!).

Entre le corps inexistant du Kid et celui sur-existant du Professeur flotte une obsédante question sur la réalité et le virtuel, la vérité et le mensonge, la connaissance et la croyance. Un roman vertigineux. 

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