Suis-je mes souvenirs ?
Considérée par les uns comme la gardienne de mon identité – puisqu’elle m’assure d’être le même aujourd’hui qu’hier –, la mémoire apparaît à d’autres comme la source d’une croyance illusoire et trompeuse en un moi identique à lui-même au cours du temps. Généalogie d’un long débat qui court depuis le Moyen Âge, au cours duquel les philosophes se répondent – et s’opposent – les uns aux autres.
La mémoire, une technique pour percer les mystères de l’Univers
Raymond Lulle (1232-1315)
Ouvrage de référence : Ars Magna (v. 1277)
Avant l’invention de l’imprimerie, les livres sont peu disponibles. Pour être savant, il faut donc avoir une excellente mémoire et apprendre par cœur des centaines de pages manuscrites ! Impossible d’y parvenir sans utiliser une série d’astuces mnémotechniques mises au point dès l’Antiquité et codifiées notamment par Cicéron. Hérité de la tradition romaine, l’art de la mémoire a surtout au Moyen Âge un usage moral. Thomas d’Aquin s’en sert pour enseigner les vertus. Raymond Lulle, philosophe majorquin contemporain de saint Thomas, en propose une tout autre application : chez lui, l’art de la mémoire devrait permettre d’accéder à une vision mystique de l’Univers ! Avec cette ambition, il rénove la mnémotechnique des Anciens. Celle-ci consistait notamment, pour un orateur, à associer les parties de son discours à certains lieux qu’il a en vue dans son amphithéâtre, puis à parcourir des yeux ces lieux pour retrouver ce qu’il doit dire. Avec Lulle, les lieux sont remplacés par des roues en mouvement : son Ars Magna se présente comme un ensemble de cercles concentriques sur lesquels sont disposées des lettres renvoyant à des concepts. L’art de la mémoire de Lulle est une machine combinatoire qui permet d’harmoniser logique et métaphysique. Il est censé fournir une clé universelle pour percer les mystères de l’Univers, lui-même compris comme un « gigantesque ensemble de symboles ». Selon Lulle, mémoriser les principes, les termes et les combinaisons de son Ars Magna permettrait à celui qui en fait l’effort (qui n’est pas mince !) de transporter en lui-même la vérité.
En l’absence de souvenirs, c’est Dieu qui assure la permanence de mon être
René Descartes (1596-1650)
S’oppose à Raymond Lulle
Ouvrage de référence : Règles pour la direction de l’esprit (v. 1628-1629) et Méditations métaphysiques (1641)
Intéressé par les travaux de Lulle qu’il a lus dans sa jeunesse, Descartes se convainc peu à peu que la mnémotechnique est inutile : « il n’est nul besoin de la mémoire pour toutes les sciences » (Cogitationes privatæ). C’est que notre mémoire est « faible de nature » (Règles pour la direction de l’esprit). Augmenter artificiellement ses capacités n’y change rien. Il faut donc lui préférer la raison et user de celle-ci avec méthode. S’il rejette la mnémotechnique, Descartes s’intéresse à la physiologie de la mémoire. Il en explique le mécanisme par les « plis » que laisseraient les impressions dans le cerveau mais aussi dans le corps. Lorsqu’on admire la virtuosité d’un joueur de luth, remarque Descartes, on s’aperçoit que sa mémoire s’est déposée dans ses mains, comme si ses doigts se souvenaient tout seuls des gestes qu’ils doivent accomplir. Dans les Méditations métaphysiques, Descartes est parvenu à ces affirmations célèbres : « je suis une chose qui pense », ou encore « je pense, donc je suis » (« cogito, ergo sum »). Mais ce célèbre cogito s’expose à une objection embarrassante : quand je ne pense pas, que je dors par exemple, est-ce que j’existe encore ? Refusant de s’aventurer dans l’hypothèse d’une activité psychique inconsciente, Descartes préfère recourir à une solution métaphysique pour résoudre cette énigme : quand je ne suis pas conscient, c’est Dieu qui assure la permanence de mon être. C’est ce qu’il appelle « la création continuée ». Cette solution métaphysique résout moins le problème de l’identité qu’elle ne le pose : sans recourir à Dieu, comment expliquer que je demeure le même, que je pense ou non ?
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