Romans, nouvelles et récits I, II

Une recension de Pierre Péju, publié le

Alors ? Pas de pensée chez Fitzgerald ? Jusqu’à sa mort précoce, à 44 ans, il a été aussi une sorte de Sisyphe, poussant une pierre qui lui parut d’abord légère comme un ballon : la littérature comme une fête, la vie insouciante comme un roman. Puis la pierre s’est bien vite alourdie, grossissant au fur et à mesure qu’il la poussait : alcoolisme, crises d’angoisse, besoin d’argent, désir fou de célébrité, esclandres mondains, détresse, enfermements psychiatriques de sa femme Zelda, et la nécessité d’écrire comme un forçat pour des raisons alimentaires. Tous les lecteurs qui ont aimé Un diamant gros comme le Ritz ou Gatsby, et pour qui Fitzgerald est le nom d’une ambiance, d’une époque, d’un milieu, d’une jeunesse, seront surpris, en découvrant ces deux volumes de la Pléiade, par la masse colossale des textes.

À la fin, plus la force de pousser la pierre ! Elle roule en sens inverse, écrasant sous elle un Sisyphe usé, en pleine schizo-phrénie, à la santé déglinguée. Et pourtant ! Une « pensée Fitzgerald » se tient dans ce grand gâchis obscur illuminé par le feu d’artifice du style. Pensée de la « fêlure », que Deleuze décelait chez lui (dès Logique du sens). Façon de vivre et vision du monde. Pas seulement dans la fameuse nouvelle où il est dit que « toute vie est un processus de démolition », car la fêlure traverse l’œuvre depuis le début. La fêlure, ce sont « ces coups venus du dedans, qu’on ne sent que quand il est trop tard », écrit Fitzgerald. Deleuze y voit la découverte fatale, de la nature même de l’« événement », toujours moléculaire, invisible et silencieux, ne coïncidant pas avec l’« accident », visible, conventionnel et repérable dans une chronologie : « La fêlure, on n’a jamais pensé que par elle et sur ses bords », écrit-il. Pour lui, cette pensée est le fait de « gens prompts à se détruire eux-mêmes ».

Bref, il faut imaginer Sisyphe « fêlé ».

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