Richard III au prisme de Hobbes
Sa silhouette monstrueuse provoque fascination et répulsion. Richard III, enfanté dans l’imaginaire de Shakespeare (1564-1616) par l’instabilité politique et les désordres de son temps, est entré dans l’imaginaire collectif comme une figure du mal. Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier le sort des limbes et il offre une scène à ses méfaits. « Dans un monde de compétition politique sanguinaire », comme l’écrit René Girard dans Shakespeare. Les Feux de l’envie, « tous les personnages adultes de la pièce ont commis ou exploité au moins au meurtre ». Mais Richard III fait figure d’exception dans l’outrance. Gagné par la violence de son environnement, il assassine plus que de raison, sans tenir compte d’aucune prudence, aux antipodes du stratège Machiavel.
Thomas Ostermeier dans une adaptation brillamment ramassée braque le projecteur sur l’irrationalité de ce personnage malveillant, interprété par un acteur extraordinaire : Lars Eidinger. Il incarne un être rongé par un désir effréné, devenu le seul ressort de sa quête de pouvoir. Rien n’arrête le bras meurtrier de cet être au pied difforme, voûté, bossu portant un masque de cuir sur son visage et les marques de sa démesure sur son corps. Dans un décor inspiré de la tradition shakespearienne – une architecture évoquant le théâtre du Globe avec ses étages et ses balcons, recouverte au sol d’un tapis de terre, relevant du cimetière –, Richard III décime sa famille, ses proches et ses rivaux, déséquilibré par un sérieux handicap : la peur. Elle le pousse à rechercher la sécurité, sans s’en tenir à la prudence. Ce Richard III n’est pas fou, il est déraisonnable.
Désir perpétuel, pouvoir après pouvoir
Comme le montre Thomas Hobbes (1588-1679), contemporain de Shakespeare : nous sommes fondamentalement mus par le désir, désirant acquérir et posséder pour nous assurer la sécurité de désirer à nouveau. Or le pouvoir est le bien qui, par excellence, doit garantir cette sécurité, levant en même temps tout obstacle à la poursuite de nos désirs. « La félicité est une continuelle marche en avant du désir, d’un objet à un autre, la saisie du premier n’étant encore que la route qui mène au second. La cause en est que l’objet du désir de l’homme n’est pas de jouir une seule fois et pendant un seul instant, mais de rendre à jamais sûre la route de son désir futur. Aussi les actions volontaires et les inclinations de tous les hommes ne tendent-elles pas seulement à leur procurer, mais aussi à leur assurer une vie satisfaite » écrit Hobbes dans Le Léviathan (1651). Il poursuit : « Aussi, je mets au premier rang, à titre d’inclination générale de toute l’humanité, un désir perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort. La cause n’en est pas toujours qu’on espère un plaisir plus intense que celui qu’on a déjà réussi à atteindre, ou qu’on ne peut pas se contenter d’un pouvoir modéré : mais plutôt qu’on ne peut pas rendre sûrs, sinon en en acquérant davantage, le pouvoir et les moyens dont dépend le bien-être qu’on possède présentement. »
Ce désir sans mesure et sans limites plonge Richard III dans une spirale destructrice. Comme le souligne Hobbes, elle ne prend fin qu’avec la mort. Esseulé sur le champ de bataille, le roi déchu souffle ainsi dans un râle : « Mon royaume pour un cheval », prêt à troquer ce pouvoir dévorant qui n’aura su lui procurer la sécurité, sinon l’invincibilité. S’autorisant tous les excès avec une pertinence de tous les instants, Thomas Ostermeier lève une part du mystère recouvrant un être rendu monstrueux par le désir et par la peur.
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