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Thomas Jolly dans le rôle de Richard III © Brigitte Enguerand

“Richard III” à l’Odéon: dissection d’un monstre politique

Cédric Enjalbert publié le 08 janvier 2016 5 min
Une ambiance de concert de rock sous les dorures de l’Odéon, beaucoup de sang, pas tant de larmes et des tambours battant hauts et forts les frasques élisabéthaines: en montant “Richard III”, Thomas Jolly poursuit l’épopée shakespearienne, auscultant la naissance, la mort et la résurrection d’un monstre politique.

Sa mise en scène d’Henry VI en dix-huit heures a réuni depuis l’été 2014 des foules de spectateurs et suscité un immense enthousiasme. En montant Richard III, Thomas Jolly donne la suite de l’épopée shakespearienne, avec souffle et sans manquer de verve. Comme en témoignait le metteur en scène dans un entretien qu’il nous accordait, les premiers épisodes de la saga élisabéthaine dessinent un monde bouleversé à tous points de vue, tant scientifique et technique que social, philosophique et politique.

« Henry VI monte sur le trône à un moment clé de l’histoire de l’humanité, entre un Moyen Âge qui s’essouffle et une nouvelle ère qui peine à sortir des limbes. C’est un roi de l’ancien temps, plutôt bon mais inadapté, empêtré dans les temps modernes. De nouveaux modèles émergent alors sans être bien compris. La perception du monde et de soi dans le monde sont bouleversées par la naissance du commerce. Les premières idées capitalistes apparaissent suivant le développement de la navigation. Des terres et des continents ignorés sont découverts. La terre s’arrondit. L’essor de l’imprimerie et la Réforme initiée par Luther provoquent une révolution religieuse qui amorce un nouveau rapport à la croyance et au Ciel favorisé par un accès immédiat aux textes sacrés. Max Weber l'a expliqué. Politiquement, la monarchie se réinvente. En Angleterre, Élisabeth Ire pose des actes forts sur sa gouvernance. L’usage des armes à feu explose. On assiste à la naissance de l’idée l’individu. Shakespeare naît au cœur de ce tourbillon. »


L’incertitude et la peur

Cette révolution des idées recouvre l’excitation des grandes découvertes, mais aussi un changement de paradigme qui ouvre un gouffre terriblement angoissant. L’incertitude nourrit la peur et les tentations réactionnaires. Elle enfante les monstres politiques. Le metteur en scène fait le pari d’une analogie avec notre époque, reconnaissant que nous sommes à un autre tournant de l’histoire humaine, basculant dans une ère nouvelle grâce à des mutations techniques inédites, sans que nous sachions encore quel horizon inconnu se présente à nous.

Du constat des temps troublés dans Henry VI, il tire une conclusion et file l’analogie : son adaptation de Richard III dessine un univers en proie à la paranoïa politique et à la dérive sécuritaire, qui succède aux tumultes des temps révolutionnaires. Le roi siège sur un trône surmonté d’une série d’écrans de surveillance, tandis que des caméras descendent des cintres pour épier en même temps qu’éclairer les actions sur la scène de ce théâtre du monde. Le sentiment de peur le dispute à la menace de la surveillance généralisée. La tour de Londres devient à la fois le symbole de l’enfermement arbitraire et celui de la tour de contrôle.

À ce tournant du XVIe siècle, Machiavel écrit ses manuels à l'usage des gouvernants indiquant comment tenir la barre dans la tempête. Il brosse un portrait de l’acteur politique gagnant le pouvoir, prêt à soumettre la morale à la politique pour le conserver, mais sachant qu’il peut le perdre à tout moment. Le prince doit s’attendre à l’imprévisible et aux aléas de la fortune, et savoir s’y adapter. Prêt à tout pour s’emparer de la couronne, Richard III pense pousser plus loin la voie de l’opportunisme, de la duplicité et du mal tracée par Machiavel. Cependant, il ne respecte pas les usages que voudrait la prudence machiavélique et le sens de l’à-propos, la virtù, assassinant aveuglément tous ceux qui le séparent de l’accession au trône. Il est le fils difforme d’une époque nerveuse, surpassant en ingéniosité et en maléfice tous ses adversaires politiques. « Richard III fascine plus qu’Henry VI, poursuit Thomas Jolly, car ce personnage magnétique est une dissection du chaos, du mal de la violence, et parce qu’il invente ce rapport de complicité avec le public, qui met le public en connaissance de cause de son projet monstrueux. ».


Récits politiques

Dans une atmosphère digne d’un concert de rock, sous les dorures de l’Odéon, Thomas Jolly tient son auditoire, jeune et nombreux, attentif durant plus de quatre heures. Mieux, il l’électrise, si bien que les spectateurs se mettent à chanter et à frapper des mains, applaudissant la montée sur le trône de Richard III, rhabillé en rock star. Un monstre politique acclamé par un public policé ? Les plus critiques crieront au divertissement, souligneront les excès du spectacle, ses imperfections ; il reste que cette réussite populaire réussi ce tour de force de rejouer gaiement les ferveurs populistes pour en exposer le mécanisme. 

Cette adaptation opère très peu de coupes, conservant la quasi-intégralité du texte dans la traduction de Jean-Michel Déprats. Elle ne se concentre paradoxalement pas sur le personnage de Richard III, malgré son omniprésence mégalomaniaque. Comme dépersonnalisé, ce roi Richard incarne le paragon spectaculaire d’un projet monstrueux tramé dans les obscurité d’une époque « meurtrie et dévastée », plutôt qu’une anomalie exceptionnelle. Comme le note René Girard dans Shakespeare. Les feux de l’envie, « on se trouve dans un monde de compétition politique sanguinaire. Tous les personnages adultes de la pièce ont commis ou exploité au moins au meurtre. […] La guerre des Deux-Roses fonctionne comme un système de rivalité et de vengeance politiques où les participants sont tour à tour tyran et victime ».  

À en croire l’engouement du public, Thomas Jolly prouve une fois de plus avec Shakespeare combien nous avons besoin de ces récits politiques et combien nous devons renouer avec eux pour comprendre le présent, sans quoi « nous laissons libre champ aux interprétations du monde les plus folles… et les plus dangereuses. » Aussi, que son Richard, terrassé par l’adversaire au combat après avoir tout perdu, laissé pour mort sous les brumes d’un champ de ruines, se relève finalement et tente à nouveau de poser la couronne acérée sur son front, doit valoir comme un avertissement : veillons collectivement à ne pas laisser prospérer les monstruosités politiques renaissant à la faveur des climats appeurés.

Informations
Richard III, de William Shakespeare
Mise en scène de Thomas Jolly
Traduction de Jean-Michel Déprats
Adaptation de Thomas Jolly et de Julie Lerat-Gersant
Avec: Damien Avice, Mohand Azzoug, Étienne Baret, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Émeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, François-Xavier Phan, Charline Porrone, Fabienne Rivier
Scénographie: Thomas Jolly
Collaboration artistique: Pier Lamandé
Collaboration dramaturgique: Julie Lerat-Gersant
Assistant à la mise en scène: Mikaël Bernard
Création lumière: François Maillot, Antoine Travert et Thomas Jolly
Musiques originales et création son: Clément Mirguet    
Création costumes: Sylvette Dequest assistée de Fabienne Rivier
Parure animale de Richard III: Sylvain Wavrant
Création accessoires: Christèle Lefèbvre
Création vidéo: Julien Condemine assisté d'Anouk Bonaldi
Photographies des portraits royaux: Stéphane Lavoué
Doublure Richard III en création: Youssouf Abi Ayad
Répétiteur enfants: Jean-Marc Talbot
 
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon – 75006 Paris
Du 6 janvier au 13 février 2016 à 19h30
Durée : 4h30 avec entracte
 
 
Et en tournée :
- 5 et 6 novembre 2015 | Les Salins – Scène nationale de Martigues (13)
- 26 février 2016 | Scène Nationale Evreux Louviers (27)
- 18 et 19 mars 2016 | L'Onde – Théâtre et Centre d'Art - Vélizy Villacoublay (78)
- 24 et 25 mars | Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie (14)
- 31 mars et 1e avril 2016 | Théâtre Liberté - Toulon (83)
- Du 6 au 10 avril 2016 | Théâtre National de Toulouse – Midi Pyrénées (31)
- Du 17 au 20 mai 2016 | Les Célestins – Théâtre de Lyon (69)
- 25 et 26 mai | Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper (29)

 

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