Théorie de l'acte d'image

Une recension de Philippe Nassif, publié le

Attention, « mon visage est prison d’amour » : ainsi le tableau avertit-il celui qui le regarde. Cette remarque étonnante de Léonard de Vinci sert de devise à cette vaste enquête sur le mystère de l’image. L’image, si omniprésente aujourd’hui, est au cœur d’un paradoxe qu’il est urgent d’affronter constate Horst Bredekamp : fabriquée par l’homme, elle n’a pas de vie propre et pourtant elle déploie une puissance qui ravit (dans tous les sens du terme) celui qui la voit. Son hypothèse est donc qu’il y a un « acte d’image » de la même façon que le philosophe John Austin a montré qu’il y a un « acte de langage » (« quand dire, c’est faire » : le langage produit ce qu’il énonce, comme par exemple dire : « je promets »). L’image, de même, est active : elle produit, et non pas reproduit, la réalité qu’elle montre. Bredekamp étaye sa réflexion en s’appuyant sur les intuitions d’Aby Warburg, le grand théoricien de l’image du XXe siècle, à travers le commentaire de deux cents œuvres, aussi diverses que des statues antiques, des mises en scène de Michael Jackson ou un autoportrait de Van Eyck. Sa réflexion subtile allie une volonté théorique à une érudition ample. Déjà devenu une référence, cet ouvrage a pour enjeu de considérer l’image non plus en aval de la réalité (l’image comme imitation et illusion, telle que la conçoit Platon) mais comme la condition même de la réalité. Et ainsi de mieux appréhender la force libératrice de l’image – elle nous arrache à la fixation du moi, nous grandit, apaise nos angoisses – et sa capacité à nous tourmenter douloureusement.

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