Secouons nos chaînes métaphysiques

Acte 2 / Pouvons-nous nous arracher au déterminisme ?

Martin Legros publié le 4 min

De Socrate à Sartre en passant par Spinoza, nos conceptions de la liberté – son sens, ses limites ou ses voies d’accès – se sont démultipliées. Trois grandes alternatives métaphysiques surgissent au cours de l’Histoire. Sans toujours le savoir, nous rejouons ces grandes disputes dans la délibération qui précède chacun de nos choix.

Non. C’est une illusion, nous n’avons aucun pouvoir de rompre l’enchaînement des causes.

Comment alors faire place à notre pouvoir d’initiative dans un monde gouverné par la science moderne, où tous les phénomènes obéissent mécaniquement à des lois très strictes, chaque effet pouvant être rattaché indéfiniment à une cause qui le détermine ? L’option de Spinoza est claire et massive. Elle heurte nos habitudes et notre confort, mais s’offre comme la promesse d’une réconciliation achevée de la liberté avec la nécessité. Spinoza opère d’abord une déconstruction en règle de notre sentiment de liberté comparant notre existence à celle d’une pierre qui roule sous le coup de la force d’attraction mais s’imagine à l’origine de son propre mouvement… « Cette pierre croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement pour aucune autre cause que parce qu’elle le veut. Et voici cette liberté humaine que tous se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs appétits et ignorants des causes qui les déterminent. » Pas plus que la pierre, l’homme n’échappe aux causes qui le déterminent. Loin d’être un « empire dans un empire », il appartient pleinement à l’ordre naturel. Il s’agit de le comprendre suivant « les lois et les règles universelles de la nature ». Car autant la croyance dans la liberté nous maintient dans l’ignorance des causes qui nous affectent, autant la connaissance de notre désir et de ce qui l’affecte permet d’accroître notre puissance d’agir. Comme l’écrit Gilles Deleuze, « ce qui définit la liberté, c’est un “intérieur”, un “soi” de la nécessité. On n’est jamais libre par sa volonté et ce sur quoi elle se règle, mais par son essence et ce qui en découle ». (Spinoza, PUF, 1970). Adhérer aux causes qui nous meuvent, agir selon la nécessité de notre nature, loin de nous inciter à renoncer à toute initiative, permet d’entrer en possession de notre puissance d’agir.

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