Le classique subjectif

Albert Camus commenté par Marylin Maeso

Marylin Maeso, propos recueillis par Victorine de Oliveira publié le 2 min

L’extrait d’Albert Camus

« Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. Pour tout dire, il y a eu, en ce temps-là, de terribles violences qui ne m’ont posé aucun problème. Je ne dis donc point qu’il faut supprimer toute violence, ce qui serait souhaitable, mais utopique, en effet. Je dis seulement qu’il faut refuser toute légitimation de la violence, que cette légitimation lui vienne d’une raison d’État absolue, ou d’une philosophie totalitaire. La violence est à la fois inévitable et injustifiable. Je crois qu’il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu’on peut. […] J’ai horreur de la violence confortable. »

« Deux réponses à Emmanuel d’Astier de La Vigerie », juin-juillet 1948.

 

Le commentaire de Marylin Maeso

« Camus n’a jamais fustigé la violence en tant que telle mais seulement la violence confortable. Tout repose sur cet adjectif. Il distingue la violence qu’on qualifie d’inévitable ou de nécessaire, corrélée à des faits, et la justification qui relève de l’ordre de l’intellectualisation. La violence est parfois inévitable. Quand une armée annonce qu’elle vient vous exterminer, ne rien faire revient à laisser mourir des innocents et donc à cautionner la violence par l’inaction. Ceux qui prêtent à Camus une position de pacifiste sont malhonnêtes ou ne l’ont pas lu. Car dénoncer la violence “confortable”, c’est énoncer du même geste sous quelles conditions la violence peut s’imposer. Certaines circonstances font qu’il n’y a pas une bonne et une mauvaise solution mais seulement des mauvaises : reste à déterminer la moins mauvaise. La violence peut être le dernier recours pour empêcher des innocents de mourir. Camus insiste toutefois sur le fait que la violence légitime doit aussi être vécue comme un déchirement, une tragédie. Et pour comprendre le sens de cet extrait, il faut le mettre en parallèle avec les Lettres à un ami allemand : c’est le dilemme du résistant, qui se trouve pris dans une guerre qu’il n’a pas voulue, qui déteste la violence et qui est contraint, pour éviter que des innocents meurent, à tuer l’ennemi. Comment consentir à la violence sans se perdre et laisser l’ennemi gagner en choisissant de lui ressembler ? Pour Camus, cela implique de refuser que la violence fasse système, soit institutionnalisée. Ce détour-là peut sembler une perte de temps, mais il permet de saisir la nuance fondamentale qui sépare la violence triste et limitée du dernier recours de la violence orgueilleuse érigée en système. »

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