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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Tomas Salas (cc) Unsplash

Apologie du bronzage

Alexandre Lacroix publié le 29 juin 2016 15 min

L’été arrive, et avec lui une question brûlante : s’exposer ou ne pas s’exposer. En guise de réponse, laissez-vous enflammer par six considérations intempestives, à fleur de peau.

1. Profondeur épidermique

J’ai conscience que le bronzage n’a pas bonne réputation. Ou plutôt, il est à la mode mais il paraît futile. La suspicion prévaut sitôt qu’apparaît une personne trop hâlée : bronzer, ne serait-ce pas superficiel ?

Cependant, je voudrais sauver le bronzage de ce genre de préjugés, car il me semble qu’il y a, dans le fait de changer de couleur de peau momentanément, de se dénuder sous le soleil et de s’offrir à sa brûlure, mieux qu’une habitude de vacancier désœuvré, un rite initiatique, voire une authentique expérience philosophique. Le bronzage est en rapport étroit avec la métamorphose. Qui ne rêve pas, avec raison, d’être métamorphosé ?

Il y a quelques années, je suis tombé un peu par hasard sur cette description physique de Friedrich Nietzsche, issue du livre de souvenirs que lui a consacré la philosophe Meta von Salis, Philosophe et Gentilhomme : « Cet homme, qui voyait dans la vanité un reste de servilité, n’avait rien des allures de l’érudit tout imbu de bourgeoise suffisance. Une voix feutrée, douce et mélodieuse, une élocution extrêmement posée, surprenaient au premier abord. Lorsqu’un sourire éclairait son visage basané par le grand air du Sud, où il faisait de nombreux séjours… » Je coupe là. Tout est attendu dans ce portrait, figé par l’admiration et l’amitié, sauf cette information qui claque comme une évidence : bien sûr, Nietzsche était basané. C’est même ce qui le distinguait, au premier coup d’œil, des universitaires allemands. Il n’avait pas cette couleur du navet poussé dans la serre des bibliothèques, sous l’éclairage des ampoules. Sa vie itinérante sur les plateaux de la Haute-Engadine, sur les rives du lac de Sils-Maria, à Naples, en Ligurie, s’apparentait à une quête de soleil, et pas du tout en un sens figuré : les hauteurs des Alpes suisses, les rives de la Méditerranée sont les zones du continent européen les moins nuageuses, celles où l’azur est le plus intense, où les UVA et les UVB cognent le plus fort. D’autant que Nietzsche marchait plusieurs heures chaque jour. Pour sûr, qu’il avait ce teint bruni que n’arborait guère, en ces temps-là, que le paysan – jamais le bourgeois.

Superficiel, le bronzage ? Nietzsche se méfiait du pathos de la profondeur et de l’esprit allemand égaré par la brume et les nourritures pesantes. À Ruta di Camogli, merveilleux village ligure qui surplombe les eaux de la mer à l’infini, Nietzsche a rédigé une préface au Gai Savoir dans laquelle il plaide la cause de l’épiderme : « Ah ! ces Grecs ! ils savaient vivre ! Pour cela, il faut, bravement, s’en tenir à la surface, au pli, à l’épiderme, adorer l’apparence, croire aux formes, aux sons, aux mots, à tout l’Olympe de l’apparence ! Ces Grecs étaient superficiels – par profondeur… » C’était en 1882.

 

2. Bras croisés dans un jardin de bananes

En 1883, le 6 mai, Arthur Rimbaud envoie aux siens une lettre de Harar, en Abyssinie. Il s’y trouve mieux qu’à Aden, où la chaleur blanche lui fait perdre le goût de vivre. Dans l’enveloppe, il glisse trois portraits de lui : « Ces photographies me représentent, l’une, debout sur une terrasse de la maison, l’autre, debout dans un jardin de café ; une autre, les bras croisés dans un jardin de bananes. Tout cela est devenu blanc, à cause des mauvaises eaux qui me servent à laver […]. Ceci est seulement pour vous rappeler ma figure. »

Justement, cette figure. L’adolescent immortalisé par Nadar a disparu. Le poète a perdu ses traits de révolte juvénile. Il est mince. Sec comme un clou, dirait-on. Il porte un pantalon et une veste de drap blanc. Il croise les bras. On le devine tout angles, nerfs, muscles. Il a les cheveux courts, la lèvre ourlée d’une fine moustache. Il ressemble à un bagarreur, un aventurier, un marin – un Occidental en rupture de ban, qui a connu la vie dure, voilà ce qu’il est devenu. On ne la lui raconte plus. Effacées, la mollesse de la table des Vilains Bonshommes, la suavité de l’absinthe. Mais il y a un autre aspect frappant, dans le si beau cliché du jardin de bananes : Rimbaud est manifestement très bronzé.

Nietzsche, Rimbaud : ceux qui ont voulu fendre en deux les préjugés de l’Europe, qui ont forcé la vie et sont devenus destin, à la fin du XIXe siècle, ont commencé par changer leur couleur de peau. Ils sont devenus noirs. Ce sont, en matière de bronzage, nos éclaireurs.

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Article issu du magazine n°101 juin 2016 Lire en ligne
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