Hors-série "Emmanuel Levinas"

Autrui, le tiers et l’État

Michel Olivier publié le 02 juillet 2023 4 min

Le Bourreau a-t-il un Visage ? Cette question énigmatique soulève l’une des grandes difficultés de la pensée de Levinas : celle des liens entre la justice éthique, dont l’exigence surgit dans ma relation personnelle à Autrui, et la justice politique, celle des institutions de l’État. La justice doit-elle être pensée en termes de responsabilité à l’égard d’Autrui, ou en termes de règles collectives et de processus de gouvernance ? Michel Olivier expose les enjeux du problème.

 

 

Levinas suggère d’abord que le bourreau, en un premier sens, c’est le meurtrier ; et celui-là ne fait en aucun cas œuvre de justice. Mais il souligne d’emblée que ce n’est pas ce sens qui l’occupe ; il opère alors un déplacement de la question. En effet, le bourreau incarne ici le bras armé de l’État qui punit, de l’État potentiellement violent qui fait respecter ses règles et ses normes. Le Visage, lui, incarne la terrible vulnérabilité d’Autrui, que j’accueille comme demande et appel qu’il m’adresse et non comme concurrent ou contrepartie. Ce sont là deux modalités de la socialité, Visage et Bourreau, qui semblent être exclusives l’une de l’autre et qui incarnent pourtant deux significations possibles de la justice. Celle, parfois violente, de l’État qui assure le respect des règles collectives, et celle, humaine et infiniment charitable, de la relation éthique à autrui. Deux façons de répondre au mal. Deux possibilités de lui résister : le saint et le gouvernement.
 

Levinas nous enseigne que ces deux possibilités de résistance au mal sont articulées entre elles : l’une fonde l’autre, donne sa signification à l’autre. C’est cette fondation qui permet de distinguer la violence légitime de l’État et la violence d’un État totalitaire. Tout réside dans la citation de Dostoïevski. La relation éthique à Autrui est responsabilité illimitée. Je prends sur moi le destin, la fragilité d’Autrui ; je m’affirme comme le gardien de mon frère.

Expresso : les parcours interactifs
En finir avec le mythe romantique
Cendrillon a 20 ans, elle est « la plus jolie des enfants ». Mais pas pour longtemps. Beauvoir déconstruit les mythes romantiques et les contes de fée qui peuplent encore aujourd'hui l'imaginaire collectif.
Sur le même sujet
Entretien
13 min
Chiara Pastorini

Depuis le printemps dernier, elle occupe la chaire de “Métaphysique et philosophie de la connaissance” au Collège de France. Auteur d’une œuvre d’avant-garde, hautement spéculative, Claudine Tiercelin n’est pas une philosophe connue du…


Article
7 min
Claudine Tiercelin

La chose, le mot, le concept : la philosophie doit tenir le milieu de ce « triangle d’or ». Rester fidèle à la réalité contre les divagations spéculatives, écouter le langage ordinaire sans céder au jargon, et…


Bac philo
3 min
Nicolas Tenaillon

L’État, notion proprement politique, désigne l’autorité la plus haute pour gérer le vivre ensemble. Il se distingue de la société à laquelle il impose son arbitrage lorsque des conflits apparaissent entre les intérêts privés. Détenteur…


Bac philo
2 min
Nicolas Tenaillon

Si, étymologiquement, la justice et le droit sont très proches (jus, juris, qui donne l’adjectif « juridique »), la justice est aussi une catégorie morale et même, chez les anciens, une vertu. Nous pouvons tous être révoltés…




Article
5 min
Cédric Enjalbert

Ils auraient rendu “respectable le fait de se montrer cynique envers les faits et la vérité” : le philosophe américain Daniel Dennett tacle les…

La faute à Nietzsche, Foucault et Derrida ?