Baptiste Morizot : “Le monde va devenir chaotique, mais nous pouvons entrer en résistance”
Pour le philosophe Baptiste Morizot, auteur de Manières d’être vivant, le recours massif à la technique ne résoudra pas la crise écologique. Il plaide pour une éducation de notre sensibilité au vivant et une multiplication des expériences locales et concrètes, tout en n’hésitant pas à mettre sa pensée en actes.
James Lovelock, créateur de l’« hypothèse Gaïa », était un fervent partisan de la géo-ingénierie, qui proposait notamment de fertiliser les océans en y répandant du fer, de reforester ou de fabriquer des aliments de synthèse à partir de carbone. Que vous inspire cette démarche ?
Baptiste Morizot : Je ne suis pas un spécialiste de la géo-ingénierie, sur laquelle je n’ai pas travaillé de manière directe, je me fie à des travaux d’experts sur la question, comme ceux de Sébastien Dutreuil, qui a consacré sa thèse à Lovelock. Sur ce sujet, la morale par provision que je professe, c’est un très grand scepticisme, parce que cette démarche manifeste à mon sens deux biais qui sont chacun rédhibitoires. Premièrement, je me méfie d’une approche qui propose de résoudre un problème par les moyens qui l’ont causé. Ce qui a créé le réchauffement climatique, c’est le relâchement massif de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pour y remédier, il faudrait agir en injectant de nouveaux composants dans nos écosystèmes à une échelle analogue. Ce type d’action est nécessairement globale – à l’échelle locale, elle n’aurait aucune pertinence. Cependant, on ne sait pas bien quels effets cela peut entraîner. D’après mes observations, les fonctionnements des écosystèmes sont délicats et complexes. Je me méfie de la pensée ingéniérique, qui construit des projets immenses au négligeable près et se fonde sur des modélisations simplifiées excluant dans leurs paramètres la myriade d’interactions écologiques extrêmement subtiles qui donnent une stabilité relative à un écosystème. Il est vrai que la géo-ingénierie appliquée aux océans a de quoi faire rêver. La simplicité du dispositif est fascinante. Les océans sont quand même un immense capteur de CO2 et un énorme producteur de biomasse à l’échelle de la planète. Si l’on pouvait, en répandant un nutriment comme le fer, faire apparaître de vastes champs de biomasse à la surface des océans, on capterait une belle proportion de l’énergie solaire. Certains prétendent de plus que cela augmenterait les ressources trophiques, nourrirait la faune marine et résoudrait les problèmes liés à la surpêche. Alors, oui, dans un monde d’ingénieurs, ce genre de raisonnement semble viable. Mais dans un monde façonné par ce bricoleur aveugle qu’est l’évolution, la quantité d’effets délétères, de cycles pervers que cela peut générer est absolument inimaginable, d’autant qu’on est dans l’irréversible.
Et quelle est votre seconde critique ?
Elle est géopolitique : comme les moyens nécessaires sont colossaux, la géo-ingénierie serait mise en œuvre par des acteurs nationaux ou bien privés – dans tous les cas par des superpuissances qui prendraient ainsi une décision ayant des conséquences pour toute l’humanité. Cela ne me paraît pas défendable. Le réchauffement climatique a déjà ceci de scandaleux qu’il est dû aux pays du Nord, qui ont un usage extraordinairement dispendieux des énergies carbonées, et qu’il frappe surtout des pays et des peuples qui ont un bilan carbone très faible. La géo-ingénierie prolongerait cette logique quasi coloniale : elle serait décidée par les plus riches et imposée à tous.
Dans Le Pragmatisme [1907], le philosophe américain William James oppose deux types de façons de penser : certains ont l’obsession de l’un, d’autres du multiple. Les partisans de la géo-ingénierie sont-ils du premier bord, puisqu’ils recherchent LA solution au réchauffement climatique, tandis que vous êtes plutôt un pragmatiste qui propose de multiplier les expérimentations ?
Voici quelques extraits choisis au début du riche entretien accordé par Baptiste Morizot, auteur des Diplomates (éditions Wildproject, 2016) et de…
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