“Bérénice”, mis en scène par Romeo Castellucci : réveiller le théâtre par le silence

S’il y a bien un spectacle qui divise le public parisien en ce moment, c’est Bérénice du metteur en scène italien Romeo Castellucci avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre. Dans la salle du Théâtre de la Ville, le public se déchire. Il y a ceux qui huent et ceux qui crient au chef-d’œuvre. Une vraie scène de théâtre comme on n’en avait pas vue depuis longtemps… Mais pourquoi cette réinterprétation de la pièce de Racine fait-elle scandale ? 

Ce mardi, je me suis rendue au Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt pour voir la nouvelle pièce du metteur en scène Romeo Castellucci. Cette fois-ci, il s’attaquait à Bérénice de Racine. Le texte est un classique – un monument du répertoire théâtral réputé comme difficile à monter. Dans le rôle-titre, Isabelle Huppert : c’est l’Actrice avec un grand A, monumentale elle aussi. J’avais lu quelques critiques avant de venir : toutes cinglantes, fustigeant une mise en scène hermétique. Mais l’intensité des réactions dans la salle a largement dépassé mes attentes. 

La « bataille de Bérénice »

Dans la pièce de Racine, Titus est obligé de renoncer à son amour pour Bérénice pour assurer la stabilité politique du pouvoir romain. Il doit lui annoncer. L’intrigue repose sur cet aveu difficile. Dans la mise en scène de Castellucci, Isabelle Huppert est quasiment toujours seule au plateau. Du texte de Racine, le metteur en scène n’a conservé que les monologues de Bérénice. Toutes les autres figures de la pièce – notamment Titus et Antiochus – sont muettes, n’apparaissant que pour des gestes chorégraphiques. Pas de dialogues, seulement les mots de Bérénice-Huppert. Aux dialogues, en effet, Castellucci préfère les images : des rideaux lourds qui tombent brutalement comme un torrent de larmes, des anneaux métalliques qui voltigent, le couronnement silencieux du maigre Titus par le maigre Antiochus… La scénographie repose en grande partie sur la superposition d’images « voilées » par du tulle. Et la quasi-entièreté de la pièce se passe derrière ces rideaux de tulle : une sorte de quatrième mur transparent qui marque une séparation entre la scène et la salle et qui floute les présences sur scène. 

Pendant la majeure partie du spectacle qui a duré 1h45, l’ambiance de la salle n’avait rien de particulièrement extraordinaire : des gestes d’agacement, des soupirs, des ricanements. Ce n’est qu’au bout d’une heure et demie, quand un spectateur a hurlé : « Bouh, on t’entend pas Isabelle ! », que la tension est vraiment montée. Quelques minutes plus tard, une partie du public s’est laissée contaminer par un fou rire lorsque le rideau de tulle s’est levé et qu’Isabelle Huppert est apparue plus nettement aux spectateurs. Et au moment du salut, les spectateurs étaient clairement divisés en deux camps : les applaudissements se joignaient aux huées. Plus tard, on pouvait lire sur les réseaux sociaux que certains en étaient venus aux insultes : « T’avais qu’à pas venir, connard ! » « Ah ouais ? Vous êtes des bobos parisiens. »