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L’anthropologue Bruce Albert, cocommissaire de l'exposition Les Vivants, organisé par la Fondation Cartier pour l'art contemporain au Tripostal de Lille. © Édouard Caupeil/Pasco and co.

Hors-série “Vivre et penser comme un arbre”

Bruce Albert : “Les chamans, diplomates cosmologiques”

Bruce Albert, propos recueillis par Joséphine Robert publié le 02 juillet 2022 14 min

Après quarante-sept ans de « participation observante » au sein des Yanomami d’Amazonie, l’anthropologue français Bruce Albert explique pourquoi il a passé un « pacte ethnographique » avec ceux qui l’ont étudié autant qu’il les a étudiés. « Traduttore », mais pas « traditore », il raconte ici une trajectoire qui commence lorsqu’il a 23 ans et qu’un ancien, parmi ceux qui l’hébergent, décide de l’éduquer par la mythologie…

 

Qu’est-ce qu’un anthropologue ? Bruce Albert a répondu à cette question depuis longtemps : c’est un « traducteur », et un peu plus. Docteur en anthropologie à l’université Paris-10-Nanterre, il renonce en 1975 à une trajectoire universitaire classique pour travailler auprès des Yanomami, au cœur de l’Amazonie, aux confins du Brésil et du Venezuela. À tout juste 23 ans, il découvre les chantiers de la route Perimetral Norte. Révolté par les travaux éventrant la forêt tropicale et par les violences et les épidémies dont est victime ce peuple amérindien, Bruce Albert donne dès lors à sa pratique de l’ethnologie la forme d’un véritable engagement. Quelque temps plus tard, il se lie d’amitié avec Davi Kopenawa, chaman et leader des Indiens yanomami du Brésil. Leur longue complicité née d’un combat commun contre la ruée vers l’or se traduit par un premier livre, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami (Plon, 2010). En 1978, ils participent, avec la photographe Claudia Andujar, à la fondation d’une ONG, la Comissão Pró-Yanomami (CCPY). Après une campagne de quatorze ans, ils aboutissent en 1992 à la reconnaissance légale de la Terra Indígena Yanomami, territoire un peu plus vaste que le Portugal. Aujourd’hui paraît un deuxième livre, Yanomami. L’Esprit de la forêt (Actes Sud-Fondation Cartier).


Quel est le rôle d’un anthropologue ?

Bruce Albert : Chaque anthropologue invente sa propre trajectoire en fonction de ses inclinations et de son « terrain ». Dans mon cas, d’emblée, il n’y a pas eu d’anthropologie concevable sans engagement personnel. Un anthropologue est pour moi un « traducteur » de mondes et il est, de ce fait, profondément engagé sur deux fronts. Il doit traduire sa propre société à ses hôtes (la demande est constante !), qui n’en comprennent ni les usages ni la logique et la considèrent comme une menace. De l’autre côté, l’anthropologue doit s’efforcer de faire comprendre et reconnaître, au sein de sa propre société, la complexité, la valeur et la richesse de celle qui l’a accueilli et a accepté de partager avec lui ses savoirs.

 

Comment en êtes-vous arrivé à cette définition ?

Lors de mon arrivée sur le terrain en mars 1975, je me suis aussitôt retrouvé dans une situation tellement dramatique qu’il m’est devenu impensable de rester dans mon hamac, avec mon carnet et mon crayon, à observer les gens et les événements en ne pensant qu’à ma thèse de doctorat. Dès ce premier terrain, j’ai rejoint un projet de protection des Yanomami issu de l’université de Brasília, dans une région où le gouvernement militaire brésilien de l’époque était en train d’ouvrir la bretelle nord de la fameuse route transamazonienne, la Perimetral Norte. Nous avons essayé pendant deux ans de limiter les dégâts causés par la route, de nous occuper des victimes des épidémies issues des chantiers routiers, de monter des campagnes de vaccination, de retrouver les jeunes femmes enlevées par les réseaux de prostitution, etc. Donc, il m’était vraiment impossible de demeurer un pur observateur !

 

Comment êtes-vous entré en contact avec la population amérindienne ?

Les Yanomami n’acceptent pas de vous accueillir et de partager leurs savoirs simplement parce que vous devez rédiger une thèse dont ils ne savent rien. Je suis donc resté longtemps dans une « période d’essai », au cours de laquelle ils se sont efforcés de me jauger. Au bout d’un certain temps, ils ont commencé à s’interroger sur ma persistance : pourquoi est-ce que ce jeune homme est-il encore là ? Nous lui faisons toutes les farces possibles, nous nous moquons de lui, nous le perdons dans la forêt, mais il est toujours là et son seul intérêt semble être d’apprendre. Ils ont donc fini par m’enseigner des rudiments de leur langue et de leur tradition, mais toujours dans le but, souvent très explicite, que je puisse servir de traducteur entre eux et les Blancs dont ils voyaient les machines déchirer la forêt. Un pacte s’est ainsi noué. Ceci dit, gardons-nous des faux-semblants. La littérature spécialisée insiste trop souvent sur les contacts personnels privilégiés et évoque même une sorte d’« adoption » de l’ethnologue, comme si la rencontre ethnographique relevait de l’héroïsme exotisant et de la séduction. C’est un peu du pipeau, si vous me permettez l’expression. Évidemment, les gens qui vous accueillent vous considèrent un peu plus fréquentable que les étrangers qu’ils ont connus auparavant ; cependant ils ont aussi des intérêts stratégiques derrière la tête. Lorsqu’ils ont sous la main un jeune anthropologue intéressé par leurs affaires et qui finit par parler leur langue, ils ont évidemment l’idée à la fois d’en tirer des informations mais également de faire passer à travers lui des messages vers le monde extérieur. C’est ce que j’ai appelé le « pacte ethnographique ». Je me suis donc fait le traducteur de leur monde et inversement. Ou bien j’assumais explicitement ce pacte, dont j’ai rapidement pris conscience, ou bien je m’en retournais faire autre chose de ma vie. J’ai choisi de persister et de travailler avec les Yanomami depuis quarante-sept ans.

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