Camille de Toledo : “Il faut permettre aux entités naturelles de se défendre”

Comment a émergé l’idée de ce parlement de Loire ? Était-ce à votre initiative ?

Camille de Toledo : Je travaille sur les droits de la nature depuis 2008, l’année où l’Équateur a reconnu les droits de la « Terre-Mère » (Pachamama). Par mes études juridiques, j’avais approché cet enjeu très tôt, avec l’article fondateur du juriste américain Christopher Stone « Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Vers la reconnaissance de droits juridiques aux objets naturels » (1972) . Et, dès mon enfance, cet enjeu – donner une place aux êtres de la nature – était là, par mon père, qui était très préoccupé par l’état de la planète. Un tel enjeu pour se mettre à l’écoute des voix de la Terre traverse mes premiers romans et travaux artistiques, et notamment une performance, Les Témoins du futur. Et c’est après l’avoir vue que certains Ligériens qui avaient commencé à travailler sur l’hypothèse d’un Parlement de la rivière m’ont demandé de piloter, de chorégraphier le projet. J’ai alors proposé une forme particulière, celle des « auditions ».

L’intégralité des auditions du parlement de Loire est visionnable ci-dessus, dans la liste de lecture de la chaîne YouTube du Polau – Pôle arts & urbanisme, basé à Saint-Pierre-des-Corps (37).

Votre livre semble être celui d’un citoyen et, en même temps, d’un écrivain. Votre démarche tient-elle à la fois du droit et de la littérature ?

Il y a, disons, cette conception que je développe de la fiction à partir de la fiction du droit. À la fin du XIX^e siècle, c’est bien une fiction qui a donné le statut de personne – donc de sujet de droit – aux entreprises. Le capitalisme est le fruit d’un certain nombre de fictions acceptées, des fictions juridiques qui finissent par organiser les circuits de la valeur créée, qui sont aussi des écritures, puisqu’on parle d’« écritures comptables ». J’ai cette vision d’un monde humain comme d’un vaste jeu d’écritures... mais un jeu grave, à la vie à la mort ! On s’est aperçu en effet qu’en donnant le statut de sujet de droit à des entreprises, on a conduit à une sorte d’émancipation du capital. Au point qu’aujourd’hui la crise terrestre peut s’interpréter largement comme celle de l’emprise du capital – de ces fictions du droit - sur la nature et la vie humaine. Et c’est à partir de cette fiction qui a donné le statut de sujet, que les droits de ces entités entrepreneuriales, des regroupements d’actionnaires, se sont accrus au cours du XX^e siècle. Ce que je cherche, donc, c’est à penser l’écriture, les formes de l’écriture, pour donner plus de droits au temps long des milieux, des écosystèmes...