Canon à plasma magnétisé : quand la technologie rejoint la magie ?

Des scientifiques chinois ont mis au point un canon à plasma magnétisé permettant d’influencer à distance le mouvement de certains objets métalliques. Une petite révolution qui semble doter l’humain de pouvoirs quasi-magiques. Éclairage avec Roger Caillois.

Dévier des débris spatiaux métalliques, diriger des satellites depuis la Terre… Telles sont les applications potentielles du « canon à plasma magnétisé » révolutionnaire qu’aurait mis au point une équipe de scientifiques militaires chinois de la National University of Defence Technology. L’engin, inspiré de la « Force » de l’univers Star Wars, consiste à canaliser la force magnétique dans des « anneaux de plasma » [le « quatrième état » de la matière] pour manipuler l’environnement spatial en faisant l’économie de bras robotiques ou autres instruments de contact.

Ingéniosité technique et fantasme archaïque

Il est des raisons tout à fait objectives d’être enthousiasmé par une telle invention, qui pourrait permettre de résoudre de nombreux problèmes de l’exploration spatiale. Il est encore des raisons subjectives pouvant expliquer, elles, la fascination éprouvée face à cet outil tout droit sorti d’un roman de science-fiction. En lui, l’ingéniosité technique se conjugue avec un fantasme archaïque profondément ancré, celui de la magie.

En effet, à quoi tient la magie ? Comme l’écrit Roger Caillois (1913-1978) dans Quatre essais de sociologie contemporaine (1951), « on appelle magie la possibilité de produire des effets sans contact ni agent, en provoquant pour ainsi dire une parfaite et immédiate docilité des choses ». La magie consiste à produire directement un effet sur une réalité extérieure par la seule force de la pensée, sans en passer par l’intermédiaire du corps et de ses prolongement prothétiques, outils et autres instrument – sans effort physique et sans contact charnel. Tout l’enjeu de la magie, c’est en somme d’agir à distance sans intermédiaire. La magie est le fantasme d’une porosité de la volonté et de la matière.

Les mots, première des magies

Problème, « les choses ne sont pas dociles », elles résistent – du moins lorsqu’on leur applique une force extérieure. Tout l’idéal de la magie parfaitement réalisée consistera donc, en quelque sorte, à prendre possession de la chose de l’intérieur, de la « posséder ». Si l’entreprise est périlleuse pour les choses, elle l’est beaucoup moins pour l’être humain, note Caillois.

“Les hommes sont plus obéissants que les choses : on peut beaucoup obtenir d’eux par des paroles ou par des signes. Il n’est pas d’expérience plus courante”

Roger Caillois, op. cit.

Le mot persuasif, sans doute, reste une médiation qui va d’un individu vers un autre par l’entremise d’une vibration sonore, donc encore matérielle. Toutefois, la voix, expression la plus directe de la pensée, est une évanescence presque immédiatement dissipée. Invisible et intangible, elle se tient à la limite du néant. C’est un presque-rien, qui néanmoins pénètre à l’intérieur de la personne à laquelle le mot est destiné et peut, le cas échéant, la plier à notre volonté, prendre possession de sa force propre. Les mots sont la première des magies.

Commander aux choses

Tout le fantasme de la magie consiste en quelque sorte à étendre ce modèle à l’ensemble du réel. « La magie, c’est l’idée qu’on peut commander aux choses comme aux êtres. » L’entreprise est évidemment périlleuse. L’intériorité des choses, si elles en ont une, demeure mystérieuse. Entre nous et elles, il n’existe pas cette commensurabilité, cette porosité entre deux esprits qui rend possible la « magie » verbale que l’un exerce sur l’autre. Il faudra donc, pour « commander aux choses », en passer par d’autres stratagèmes.

Le canon magnétique mis au point par la Chine en est un exemple. Demeure bien, entre la volonté et son application au monde, une certaine médiation. Mais en quoi consiste cette médiation ? Un anneau de « plasma magnétisé » dont on peut dire, à la manière des mots, qu’il se tient en quelque sorte aux confins du rien. Nous sortons ici de l’ordre ordinaire de notre expérience au sein duquel la force que nous exerçons sur les choses se transmet seulement par des chaînes matérielles de contacts et de pression. On comprend mieux la fascination que peut exercer une telle invention. La formule de l’écrivain Arthur C. Clarke se trouve ainsi comme validée : « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. »   

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