Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Ramakant Sharda/Unsplash

Ceci n’est pas du vin

Michel Eltchaninoff publié le 18 décembre 2023 4 min

« À la veille des Grandes Bacchanales et dans la perspective d’un mois de janvier que beaucoup veulent dry, (mais pas Martini Dry), j’ai voulu expérimenter le vin sans alcool. J’ai mis toutes les chances de mon côté pour l’apprécier, croyez-moi. Mais rien n’y a fait : non seulement j’ai trouvé ça infect, mais je ne comprends pas pourquoi nous en sommes arrivés à considérer que le “sans” était devenu le nec plus ultra.

Le vin sans alcool est à la mode. Cela ne m’a pas empêché d’en demander au caviste de mon quartier à voix basse et avec un air embarrassé, un peu comme si j’achetais un roman pornographique dans une librairie religieuse. Sa moue a été significative. Je l’ai rassuré en lui demandant, en plus, un “vrai” blanc et un “authentique” pinot noir. Nos regards sont redevenus complices. Je suis reparti en cachant dans mon sac un blanc et un rouge sans alcool à moins de 10 euros chacun. J’ai tout mis en place pour que l’expérience soit œnologiquement correcte, malgré le triste bouchon à vis et l’étiquette affichant la mention “alcohol free” – un Chardonnay quand même. J’ai commencé par examiner la robe dans un immense verre à pied : “pâle paille”, me suis-je dit, mais sans éclat. Le nez ? Pommes en décomposition avancée, gloups. Quant au goût… À la fois acide, légèrement pétillant, mais visqueux, avec une finale pesante. Franchement déplaisant. Après avoir avalé deux grands verres d’eau, je suis passé au rouge, un pinot noir. Cette fois j’ai retrouvé quelque chose du vin, mais ce qu’il peut avoir de pire : une sensation d’empâtement du palais, comme une coulée de pétrole, et un goût de moisi. J’ai rapidement débouché un mâcon pour me consoler.

Je ne voudrais pas vous faire penser que le vin sans alcool est à bannir. Je ne suis pas un bon goûteur, n’ayant jamais appris les règles de l’œnologie. Je préfère d’ailleurs l’ivresse à la patiente et bavarde dégustation du “sang de la terre”. Et je suis peut-être mal tombé. J’ai d’ailleurs déjà bu du délicieux gin sans alcool, délicat mélange de plantes et de fleurs. Reste que la montée en puissance du vin sans alcool, destiné aux femmes enceintes ou aux dryjanuaristes, n’est pas seulement une expérience désagréable. Elle soulève une question ontologique : ce produit, même s’il a été fabriqué comme du vin, puis débarrassé de l’alcool qu’il contenait, est-il encore du vin ?

Pour certains, l’artifice peut, grâce aux pouvoirs de l’imagination, aisément remplacer l’expérience réelle. C’est Des Esseintes, le héros d’À rebours de Huysmans, qui se rend compte que passer quelques heures, par temps de brouillard et de pluie, à boire de la bière brune et à picorer du fromage de Stilton, entouré d’Anglais dans un bar proche de la gare Saint-Lazare, remplace parfaitement un voyage à Londres. C’est Oscar Wilde affirmant que “la Vie imite l’Art bien plus que l’Art n’imite la Vie”, et qu’il suffit de savoir créer une situation d’artifice suffisamment réussie pour se mettre à y croire. Mais je te le jure, Oscar, même avec des verres en cristal de Bohème et la compagnie des plus beaux esprits, le vin sans alcool ne fait pas illusion. En effet, la forme et le fond coïncident. Enlevez l’alcool, et tout s’évapore : le goût du vin et l’ivresse qui délie la parole. Ce n’est plus du vin, et même pas un jus de fruit. L’art, écrit Hegel – celui du vigneron au même titre que celui du peintre – “n’a d’autre destination que celle de manifester, sous une forme sensible et adéquate, le contenu qui constitue le fond des choses” (Esthétique). Avec le faux vin, on manque et la forme et le fond.

La mode du vin sans alcool exprime une autre tendance, comme le remarque la philosophe Mazarine Pingeot dans un livre à paraître en janvier (Vivre sans. Une philosophie du manque, Flammarion, coll. Climats). À l’époque du sans sucre, du sans calorie, du sans adjuvant, sans colorant et désormais sans alcool, “le ‘sans’ réel est converti en ‘plus’ symbolique”. “Par un tour de passe-passe extraordinaire, ajoute-t-elle, on a su transformer l’absence en valeur, le manque en objet de convoitise.” Elle dénonce dans cette mode l’hygiénisme moralisateur et la tartufferie commerciale, puisqu’on propose au consommateur de garder le plaisir sans en accepter les inconvénients. Le “sans”, dans ce vin imbuvable, est tout sauf le manque qui, lui, ouvre l’espace du désir et du fantasme. Il est une incongruité, celle d’“un monde ouaté d’où le tragique doit être exclu”. Alors je vous le promets, chères lectrices et chers lecteurs, lors des fêtes de fin d’année, je lèverai à votre santé la coupe d’un breuvage sans soustraction aucune, qui additionne les goûts, les plaisirs et les risques. Très bonnes fêtes de fin d’année, au jus de fruit ou au champagne ! »

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.

Expresso : les parcours interactifs
L'étincelle du coup de foudre
Le coup de foudre est à la charnière entre le mythe et la réalité. Au fondement du discours amoureux, il est une expérience inaugurale, que l'on aime raconter et sublimer à l'envi.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
2 min
Vin sans alcool : la boisson vertueuse ?
Michel Eltchaninoff 09 janvier 2024

En plein dry january et alors que les produits sans alcool gagnent du terrain, le marché du « sans », comme l’analyse la philosophe…

Vin sans alcool : la boisson vertueuse ?

Article
3 min
Les deux corps des présidents américains
Jean-Marie Pottier 06 octobre 2020

Dans Les Deux Corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge (1957), Ernst Kantorowicz donne une définition de cette « …

Les deux corps des présidents américains

Bac philo
3 min
Le désir
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Le désir est souvent conçu comme l’expression d’un manque. Le mot vient d’ailleurs du langage des oracles où il désigne l’absence d’une étoile (siderius) dans le ciel. On distingue le désir du besoin (qui appelle une satisfaction…


Bac philo
2 min
La société
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

La société désigne un ensemble d’individus reliés entre eux par une culture et une histoire. Il est donc abusif de parler de sociétés animales qui ne se perpétuent que par hérédité – non par héritage –, mais pertinent de parler de…


Bac philo
2 min
Le devoir
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Que dois-je faire ? Cette question introduit à la morale et au droit. Le devoir désigne l’obligation à l’égard de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Il se réfère au Bien (morale) ou à la Loi (droit), suppose une règle et s’adresse à…


Article
2 min
Kombucha. Les ferments de la rébellion
Tobie Nathan 14 janvier 2021

Bio et bonne pour la santé ! Cela suffit-il à expliquer le succès viral de cette boisson pétillante ? Non, car son mode de fabrication…

Kombucha. Les ferments de la rébellion

Article
3 min
Angélique Del Rey : “Cette pandémie devrait être l’occasion de réfléchir différemment à la santé humaine”
Alexandre Lacroix 11 décembre 2020

Si la pandémie a révélé une chose, c’est au moins le « modèle guerrier » de nos politiques de santé. Le discours martial d’Emmanuel…

Angélique Del Rey : “Cette pandémie devrait être l’occasion de réfléchir différemment à la santé humaine”

Article
6 min
Philosopher en corps
Yannis Constantinidès 14 mars 2023

« Un philosophe qui a traversé plusieurs états de santé a passé par autant de philosophies » ; avec Nietzsche, pour la première fois peut-être, le corps pense. L’auteur du Gai Savoir, qui voit la maladie comme un…


À Lire aussi
Raphaël Enthoven : “L’absence de toute opposition construite nous expose à l’alternative entre le conservatisme et le chaos”
Raphaël Enthoven : “L’absence de toute opposition construite nous expose à l’alternative entre le conservatisme et le chaos”
Par Martin Legros
avril 2022
Baccide, le millième crasseux
août 2012
Anne Cheng : “La Chine aurait tout à gagner à se libérer de son obsession pour le concept de civilisation”
Anne Cheng : “La Chine aurait tout à gagner à se libérer de son obsession pour le concept de civilisation”
Par Océane Gustave
juin 2021
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Ceci n’est pas du vin
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse