Comment je me suis transformé
Revoir ses priorités après un accident de santé, divorcer et lâcher la proie pour l’ombre, oser faire de son art un métier ou se prendre de plein fouet le train de l’Histoire : les cinq personnes rencontrées dans cette enquête nous racontent comment leur vie a changé de sens à l’occasion d’un « choc ».
À quel âge prend-on conscience de la mort ? Selon la réponse habituelle des psychologues, c’est un cap que l’enfant passe entre 7 et 9 ans. Mais reposons la question autrement : à quel moment devient-elle assez réelle dans notre esprit pour que nous commencions à agir comme si nous n’avions pas un temps indéfini devant nous ?
Peut-être qu’une telle prise de conscience ne survient jamais spontanément et qu’elle est seulement possible à l’occasion d’un événement, voire d’un trauma qui nous oblige à plonger en nous-mêmes puis à donner une nouvelle direction à notre existence. C’est avec cette hypothèse en tête que je me suis mis en quête de personnes qui avait connu un « choc de finitude » suffisamment fort pour que leur trajectoire en soit déviée.
Survivre au mythe de l’invulnérabilité
Âgé de 47 ans, Nicolas d’Hueppe a d’abord été un champion de la performance, tous azimuts. Marié, il est père de quatre enfants. Entrepreneur dans la « tech », il a pris les rênes d’une entreprise de 150 employés, Alchimie, qu’il a introduite en Bourse en novembre 2020. De plus, il faisait du cyclisme en compétition, avec près de 12 000 kilomètres par an. « Le 9 mai 2021, je roulais en vallée de Chevreuse. J’avais 63 kilomètres dans les jambes, mon cœur battait à 132. Et puis un bout de plaque de cholestérol s’est décollé et a bouché une artère, provoquant ce type d’arrêt cardiaque qu’on appelle la “mort subite”. » On compte environ 60 000 morts subites chaque année en France, avec un taux de survie de 3 %. « Arrivent trois cyclistes, dont l’un est médecin ORL. Il commence un massage cardiaque durant vingt-cinq minutes. Les pompiers prennent le relais, le SAMU arrive et me fait des injections d’adrénaline. Mon cœur est revenu à une sinusoïdale normale après s’être arrêté cinquante-trois minutes. » Statistiquement, il est improbable de se réveiller après un arrêt cardiaque aussi long. Le cerveau de Nicolas est resté sous-alimenté en oxygène, ce qui fait qu’il a dû suivre une rééducation neurologique : réapprendre à parler, marcher, se nourrir, garder l’équilibre… Au bout de cinq semaines, il lui semblait avoir récupéré. Le 15 août, il a annoncé à son conseil d’administration qu’il revenait. « À la mi-octobre, une fatigue énorme m’a rattrapé. Je pleurais tous les matins. J’ai plongé dans une forme de dépression. J’ai compris que je devais lâcher : j’ai renoncé début décembre à tous mes mandats. » Quelque temps plus tard, pédalant sur la boucle de Longchamp, Nicolas a fait une chute et s’est cassé les deux poignets. À peine remis, il est parti au ski et s’est brisé l’épaule gauche et la main droite. Enfin, il a passé des tests utilisés pour diagnostiquer la maladie d’Alzheimer. « J’étais encore dans le déni. Je me suis retrouvé avec une note de 26, la limite basse pour être déclaré apte à travailler. Qu’il s’agisse de la concentration, la spatialisation, la mémoire, les tâches exécutives du cerveau étaient touchées. Et le pire, c’est que je ne m’en étais même pas aperçu, ou plutôt je ne voulais pas me l’avouer ! Le soir, quand j’étais fatigué, je bégayais. Aujourd’hui, je suis handicapé. J’ai les papiers de la Sécu. Je fais partie des centaines de milliers de Français qui ont un handicap invisible. »
Mais comment affronter ce revers après avoir porté si haut la réussite ? « Certaines personnes racontent qu’elles ont changé de vie, je suis admiratif. J’en suis incapable. J’ai simplement rencontré des contraintes très fortes. Alors j’ai dû faire des deuils, certains rapides, d’autres beaucoup plus longs, comme le deuil de ma boîte, de mes salariés, de mon niveau de vie, de mon statut social. »

Nicolas d’Hueppe. © Magali Delporte pour PM
“Aujourd’hui, je peux dire que je suis passé d’une vie commandée par l’intellect et la volonté, à une vie où seul compte le cœur”
Ironiquement, quelques mois avant son accident, Nicolas d’Hueppe avait publié un livre, Votre énergie est inépuisable. Ce titre n’est-il pas contredit par son expérience ? « En un sens, j’ai tout perdu, mais je ne me définirais pas comme un loser. Je suis le gagnant d’une vie. Durant la première partie de mon existence, j’ai été gouverné par mon intellect. Aujourd’hui, je suis vulnérable, et les relations que je construis tournent autour de cette vulnérabilité. On me confie des histoires incroyables. Dans la conclusion de mon livre, je laissais entendre que c’est le cœur qui donne une énergie vraiment inépuisable. C’était un peu théorique. Aujourd’hui, je peux dire que je suis passé d’une vie commandée par l’intellect et la volonté, à une vie où seul compte le cœur. »
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