Conseil n° 4 : aimons-nous dans la glace

S’aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est se regarder dans la glace. En période Covid, des médecins recommandent le sexe en solo. J’ai suivi leur conseil. J’en ai profité pour vivre une courte histoire d’amour avec moi-même.

Je me suis rencontré par hasard et je n’ai rien fait pour chercher à me plaire. J’étais seul, sur le quai d’une gare. J’attendais un train. Je me suis regardé. Je me suis trouvé pas mal… Je me suis surpris à chantonner un air que j’avais justement dans la tête. « C’est fou ce que je peux m’aimer, ce que je peux m’aimer, des fois, des fois je voudrais crier… »

Je me suis abordé. « Pardon, auriez-vous une cigarette ? » Je n’en avais pas non plus. « C’est mieux ainsi, j’essaie d’arrêter », me suis-je dit dans un sourire. « Moi aussi », me suis-je répondu, immédiatement complice. 

Quand je suis monté dans le train, j’avais la place qui m’était précisément dévolue. Par politesse, je me suis laissé m’asseoir à ma place. Le courant est tout de suite passé entre moi.

Je me suis demandé si j’habitais chez mes parents. Je me suis dit que non. Ils étaient morts depuis longtemps. 

« Et si nous allions chercher une bière dans la voiture-bar ? » ai-je suggéré. « Pourquoi pas ? » ai-je approuvé, laconique. 

Dès la première tournée (j’avais pris deux bières, une pour moi, une pour moi), j’ai cité cette réplique de Prévert dans un film de Renoir : « Je me parle à moi-même parce que je m’estime. » J’ai souri, je partageais les mêmes références que moi. J’ai proposé tout de suite une seconde tournée de bières (une pour moi, une pour moi). Je ne voulais pas être en reste. 

Arrivé à destination, je n’arrivais plus à me quitter. Je me suis proposé d’aller boire un dernier verre chez moi. J’ai un peu rougi mais tout de suite accepté.

Le dernier verre fut précédé de plusieurs. Un peu ivre, sans un mot, je me suis dirigé vers la chambre à coucher. J’ai passé la nuit chez moi. Plus un mot ne fut prononcé, et, sur les conseils de médecins vigilants, je fis l’amour en solo. De façon un peu furtive, sans trop d’imagination, sans trop d’inspiration, ne tenant compte que de mon propre plaisir.

Je me suis endormi très vite.

Quand je me suis réveillé le lendemain matin, légèrement embrumé, j’ai ressenti une vague honte, une culpabilité insidieuse. J’étais seul dans mon lit. 

Tout était allé si vite. Je me suis dit que finalement je ne connaissais rien de moi, et j’ai eu le sentiment, un peu triste, un peu désemparé, comme tout un chacun sans doute, d’être seul au monde.