Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Gérard Depardieu sur le tournage d’“Astérix et Obélix. Mission Cléopâtre” en 2002. © Étienne George/Collection ChristopheL via AFP

Depardieu : une certaine idée de la Gaule

Michel Eltchaninoff publié le 08 janvier 2024 4 min

« Vous en avez parlé en famille pendant les fêtes ? Et vous vous êtes étripés avec votre grand-oncle ? Normal. Moi aussi, j’en ai discuté avec mes frères et sœurs durant le Noël russe (une soirée marrante, genre La Bûche) avant-hier. Certes, nous sommes rapidement tombés d’accord : ses propos tenus en Corée du Nord sont immondes, et il faudra bien qu’il réponde devant la justice des agressions sexuelles et du viol dont on l’accuse. Mais de nombreuses questions sont restées en suspens.

Il n’est jamais évident de passer de l’admiration et d’une certaine affection à la réprobation et à la détestation. J’y ai réfléchi en rentrant chez moi dans la nuit, et je crois avoir trouvé la clé. Depardieu incarnait la France ; il se contente depuis plusieurs années de représenter une certaine idée de la Gaule.

Comme vous, peut-être, j’ai adoré chez Depardieu la rencontre en un seul être de la bête et de l’enfant. J’ai aimé ce naturel tellement puissant qu’on a l’impression qu’aucune caméra ne le suit, qu’aucun metteur en scène ne le dirige. J’ai été fasciné par ce caractère querelleur et sensible, parfois lyrique. Je les retrouve quand je revois ses plus grands films des années 1970 à 2000 – ce dont je ne me priverai jamais. Depardieu est à la fois le loubard de Châteauroux et un poète, un voyant. Il peut entrer dans tous les rôles, de la petite frappe au grand homme, leur insufflant un mélange toujours neuf de force et de finesse.

Depardieu s’est alors mis à incarner la France, sous toutes ses facettes. Il a été le révolutionnaire Danton, l’abbé de Sous le soleil de Satan, l’aventurier Vidocq, le génial Rodin, le colonel Chabert ou le Tartuffe de Molière. Avec Cyrano de Bergerac, il est frondeur et élégant, galant et audacieux, anticlérical et tourmenté, avec panache bien sûr. Star internationale, il est devenu, comme le disent les hommes politiques, notre meilleur ambassadeur. C’est surtout pour cette raison, à mon avis, qu’Emmanuel Macron l’a soutenu, oubliant d’évoquer les victimes de ses agissements ou de ses commentaires. Le président, dans une logique de marque, a défendu l’un de nos fleurons industriels : il faut continuer à acheter français, que diable !

Mais peu à peu l’identité de Gérard Depardieu a glissé. Tout d’abord, comme pas mal de stars, il s’est cru tout permis. Il a fait passer la domination (en particulier sur les femmes) et la complicité avec les dictateurs pour de la liberté. La France, avec ses règles et son droit, est devenue trop étriquée pour lui. Il s’est soudain senti mieux en Russie, où l’on peut absolument tout obtenir quand on a du pouvoir. Surtout, de Français, il est devenu gaulois. Son hilarante interprétation d’Obélix n’y est peut-être pas pour rien. Il s’est enfermé de plus en plus dans un rôle de goinfre rigolard dont il ne parvient plus à se défaire, même s’il lit saint Augustin et chante Barbara. Depardieu, en sombrant dans la gauloiserie, s’est déséquilibré. Il a réduit l’esprit français, tendu entre l’élégance et la grivoiserie, la mesure et la verve, le panache et l’arrogance, l’art de la conversation et la bamboche, le naturel et la sophistication, à un seul de ses aspects : la gaillardise. En le voyant mâcher à pleines dents des algues bretonnes ou se fourrer plusieurs crêpes dans la bouche, comme dans ses documentaires sur les cuisines de nos terroirs, en l’écoutant parler de sa virilité de manière obsessionnelle, on se dit tout de même que, de l’esprit français, on a perdu quelque chose. C’est ce que suggère le philosophe d’origine roumaine Emil Cioran dans De la France (éditions de l’Herne) : “La divinité de la France : le goût. […] Selon lequel, le monde – pour exister – doit plaire ; être bien fait, se consolider esthétiquement ; avoir des limites ; être un enchantement du saisissable ; un doux fleurissement de la finitude”. On en est loin, non ?

Même si Rabelais et les chansons paillardes font incontestablement partie de notre patrimoine culturel, la gauloiserie, telle qu’elle se manifeste dans les mots et les gestes de Depardieu vis-à-vis des femmes, est bel et bien l’expression d’une domination masculine. Il suffit de revoir cette séquence du documentaire de Complément d’enquête pour ressentir l’humiliation de l’interprète coréenne de l’acteur, qui comprend parfaitement les horreurs qu’il profère à son endroit, et pour mesurer la violence qu’elle a subie. La meilleure chose qui pourrait arriver à notre gloire nationale serait peut-être qu’elle le redevienne, nationale, c’est-à-dire plus complète et flamboyante que sa caricature graveleuse. Et que l’acteur retrouve, de la gauloiserie, la définition que j’en lis dans Le Petit Robert : “Qui a une gaieté franche, rude, et un peu libre”. Mais pas plus. »

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.

Expresso : les parcours interactifs
Kant et le beau
​Peut-on détester une œuvre comme « La Joconde » ? Les goûts et les couleurs, est-ce que ça se discute ? À travers cet Expresso, partez à la découverte du beau et du jugement du goût avec Kant.

​
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
6 min
Gérard Noiriel : “Obéir et reconnaître le pouvoir d’État, c’est payer l’impôt”
Charles Perragin 28 juin 2022

Co-auteur d’un documentaire Arte en deux volets sur l’histoire des impôts, Gérard Noiriel saisit dans l’évolution des taxes des tournants…

Gérard Noiriel : “Obéir et reconnaître le pouvoir d’État, c’est payer l’impôt”

Article
4 min
Jean-Marc Jouffe : “Les auteurs de violences conjugales sont exclus du champ de la pensée”
Charles Perragin 12 novembre 2020

Psychologue clinicien, expert judiciaire, Jean-Marc Jouffe a créé Passible, une association d’accompagnement pour les auteurs de violences…

Jean-Marc Jouffe : “Les auteurs de violences conjugales sont exclus du champ de la pensée”

Article
7 min
Astérix et l'éternel banquet final
Michel Eltchaninoff 02 février 2023

Dans la Gaule d’Astérix, tout finit par des chansons. L’immuable dernière case des albums montre le banquet où la communauté villageoise, réunie sous la voûte étoilée, chante et festoie dans la paix retrouvée. Le philosophe Michel…


Article
1 min
Michel Eltchaninoff lauréat 2016 du Prix Livre et Droits de l’Homme
24 juillet 2016

Notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff a été distingué ce 23 juillet 2016 par le prix Livre et Droits de l’Homme pour son essai “Les Nouveaux…

Michel Eltchaninoff lauréat 2015 du prix de La Revue des Deux Mondes

Article
1 min
Michel Eltchaninoff lauréat 2015 du prix de La Revue des Deux Mondes
21 mai 2015

Notre collaborateur Michel Eltchaninoff a reçu, ce mercredi 20 mai 2015, le prix de l'Essai décerné par “La Revue des Deux Mondes” pour son…

Michel Eltchaninoff lauréat 2015 du prix de La Revue des Deux Mondes

Article
3 min
Les passions négatives de l'égalité
Mehdi Belhaj Kacem 12 juillet 2012

Souvent méprisés par les philosophes, l’humiliation et le ressentiment constituent pourtant un moteur de l’humanité… et peut-être même de la démocratie. Deux livres – Humiliation et Le Ressentiment, passion sociale – creusent ces…


Article
4 min
Gérard Genette / Marcel Duchamp. Un art de l’idée
Barbara Bohac 24 septembre 2012

Dans L’Œuvre de l’art, le théoricien Gérard Genette cherche à définir la singularité du ready-made. Le Porte-bouteilles, de Marcel Duchamp,…

Gérard Genette / Marcel Duchamp. Un art de l’idée

Article
8 min
L’Inde à l’épreuve de la violence
Veena Das 18 septembre 2012

Les attentats de novembre à Bombay ont marqué le point culminant d’une montée de la violence entre hindous et musulmans. L’anthropologue et philosophe indienne Veena Das analyse pour Philosophie magazine le multiculturalisme indien et…


À Lire aussi
Gérard Noiriel : “L’histoire doit avoir une utilité civique”
Gérard Noiriel : “L’histoire doit avoir une utilité civique”
Par Catherine Portevin
mars 2019
Gérard Garouste, repeindre la kabbale
Gérard Garouste, repeindre la kabbale
Par Cédric Enjalbert
avril 2021
Gérard Noiriel : “Pour redevenir hégémonique, la gauche doit proposer un récit alternatif”
Gérard Noiriel : “Pour redevenir hégémonique, la gauche doit proposer un récit alternatif”
Par Martin Legros
février 2022
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Depardieu : une certaine idée de la Gaule
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse