Reportage

Disneyland, notre monde réel

Michel Eltchaninoff publié le 10 min

Vous croyez que Disneyland est à la périphérie et Paris, au centre ? C’est le contraire. Aujourd’hui, le parc est le site le plus visité d’Europe. Consumérisme, infantilisation, artificialité ? C’est aussi le lieu où s’invente l’urbanisme contemporain pour le meilleur et pour le pire.

Disneyland Paris est une grande ville européenne. Elle se visite comme Prague ou Rome. On débarque à Marne-la-Vallée en TGV, on s’installe au ranch de Davy Crockett, village de trappeurs, ou au New York, de style années 1930. Les plus dépensiers peuvent choisir le Disneyland Hôtel, gigantesque palace victorien qui sépare le parc du monde extérieur et offre une vue sur le pays imaginaire.

En pénétrant dans le parc, ce qui surprend d’abord, c’est que Disneyland n’a rien d’étouffant ni de particulièrement angoissant. Certes, cette ville n’est composée que de ses visiteurs et de sa cohorte d’agents d’accueil, d’entretien et de vente, mais sa population n’est pas uniforme : pas de sans-abri, ni d’hommes d’affaires ; assez peu de petits obèses accompagnés de grands-mères américaines en tee-shirt ; beaucoup d’adultes, souvent sans enfants ; des couples, des bandes d’amis, des familles. La gamme vestimentaire est large, les nationalités sont multiples. En remontant Main Street, l’artère principale qui mène au château de la Belle au bois dormant, on ne remarque aucun sentiment dominant – ni l’électricité un peu canaille des fêtes foraines, ni l’unanimisme souriant d’un meilleur des mondes totalitaire. Après un tour de reconnaissance et quelques attractions (grâce à un système de réservation permettant d’éviter les files d’attente), on va dîner dans un snack ou au restaurant gastronomique, L’Auberge de Cendrillon. La relative mais réelle diversité sociale se répercute dans la variété des offres.

Le lendemain, chacun organise sa visite à sa manière. On peut explorer systématiquement chacune des régions de Disneyland. Pour commencer, Frontierland, reconstitution du Far West, puis Adventureland, monde des pirates, des jungles, de l’Afrique et de l’Orient. Ensuite, on passe à Fantasyland, univers de Blanche-Neige, Pinocchio, Alice, Dumbo, etc. Enfin, la visite se termine à Discoveryland, ouverture sur le futur et la science-fiction. Chacune de ces zones comprend des attractions pour tous les goûts : montagnes russes plus ou moins effrayantes (le train de la mine est nettement plus calme que Space Moutain ou le fameux looping d’Indiana Jones). Mais la plupart sont accessibles aux jeunes enfants comme aux froussards. La Maison hantée émerveille plus qu’elle ne terrorise, les petites embarcations des pirates des Caraïbes ne secouent guère leurs occupants, et voler avec Peter Pan ne donne le vertige à personne. On a l’impression qu’à Disneyland, l’atmosphère compte davantage que le frisson. Chaque zone est dominée par une attraction centrale, qui fait office de point de repère. L’axe principal est Main Street, le centre spatial le château de la Belle au bois dormant. La grande parade est le point de repère temporel. Le tour du parc est assuré par un train à vapeur. On peut donc facilement passer d’un lieu à l’autre et papillonner à l’envi.

Selon Baudrillard, la société de consommation a dissous le réel dans un complexe jeu de signes. Il ne se distingue plus de l'imaginaire.

Ceux qui passent trois jours sur place s’économisent. Ils visitent Walt Disney Studios, le second parc consacré au septième art ; profitent des cinémas et des cafés de Disney Village, de l’immense centre commercial Val d’Europe. Sans oublier que leur guide touristique, Un grand week-end à Disneyland® Resort Paris, se clôt sur la section « Autour des parcs ». Outre une ballade en Seine-et-Marne, elle propose de faire un détour vers plusieurs sites d’une ville toute proche et presque aussi magique que Disneyland : Paris. Le forfait comprend plusieurs formules de visite. Une soirée dans la Ville lumière est envisageable. Et si l’on est sûr d’avoir épuisé tous les mondes de Disneyland, il serait dommage de manquer les principales attractions parisiennes. Il faut avouer que Paris est moins clairement structuré que Disneyland. Le tramway ne permet qu’un trajet périphérique très partiel.  La « Main Street » parisienne (Les Champs-Élysées) est décentrée. On y retrouve les mêmes magasins qu’au parc à thèmes. Mais la tour Eiffel serait digne de figurer à Discoveryland (l’ascension au troisième étage est impressionnante), tout comme le centre Pompidou, très ludique. L’idée d’installer un musée dans une gare aurait certainement plu à Walt Disney. Le Louvre médiéval, la Sainte-Chapelle et Notre-Dame auraient leur place à Fantasyland. Pour ceux qui auront le temps de se promener à pied, les ruelles de la butte Montmartre, les nombreux cafés à thèmes, les rues piétonnes qui restituent à merveille le vieux Paris (Montorgueil, Daguerre, Cler), les charmantes placettes (celles du Marché-Sainte-Catherine et des Batignolles) constitueront un excellent complément à leur excursion. Un séjour à Disneyland sans visite à Paris serait une erreur.

Expresso : les parcours interactifs
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