Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Dominique Bourg. © Sébastien Calvet/REA

Tribune

Dominique Bourg : “La crise écologique impose une politique de salubrité publique”

Dominique Bourg publié le 18 avril 2023 6 min

De l’interdiction de la chasse à courre à celle des piscines privées, les écologistes sont de plus en plus accusés de vouloir instaurer une « dictature » doublée d’un nouvel « ordre moral ». Pour Dominique Bourg, c’est confondre des choix moraux ouverts – comme celui de notre rapport à la souffrance animale – avec des politiques d’urgence, comme les restrictions d’eau imposées par la sécheresse.

Or la surdité aux vrais enjeux écologiques est le terreau des dictatures de demain.


 

Du côté droitier ou extrême-droitier de l’échiquier politique, les récriminations contre les écologistes vont bon train. Au mieux, ceux-ci sont qualifiés de « sectaires », pour évoquer une ritournelle du magazine Valeurs actuelles, au pire de « fascistes », de promoteurs d’une « dictature écologique », ce qui en l’occurrence ne manque pas de sel. Ces diatribes se développent sur le fond d’une montée en puissance spectaculaire des difficultés écologiques, et notamment des manifestations du dérèglement climatique, au premier chef les questions de sécheresse. Or, dans ce contexte, les types d’argumentation sont d’une importance capitale. Et, en la matière, la confusion règne, en premier lieu chez les écologistes eux-mêmes.

“La confusion règne, en premier lieu chez les écologistes” Dominique Bourg

 

Dans la situation qui nous échoit, rien ne me semble plus inconséquent que la confusion largement diffuse entre les postures et argumentations morales d’un côté, et les constats écologiques de l’autre. Considérons le cas de la chasse à courre. S’affirmer contre cette pratique est-ce écologique ? Nullement. Les postures pour ou contre sont tout simplement étrangères au domaine de l’écologie. Je peux être contre la chasse à courre pour des raisons morales, en fondant mon jugement sur une morale pathocentrée qui condamne la douleur qui plus est gratuite infligée à un être sensible. Je peux être contre pour des raisons politiques, parce que ce type de chasse constitue la survivance d’un système féodal d’un autre âge. Pour l’addition des deux. Etc. Telle n’est pas ici la question. À ces jugements, il est loisible d’en opposer d’autres. Ils ne découlent d’aucune nécessité si ce n’est celle de la cohérence construite avec plus ou moins de bonheur de mes propres jugements. C’est une question d’opinion. Et le propre d’une société démocratique est de ne pas chercher à écraser la pluralité spontanée des opinions et sensibilités, mais plutôt de l’organiser avec le référentiel droite-gauche pour celles qui concernent l’organisation de la société. Être pour ou contre la chasse à courre n’a rien à voir avec le taux d’érosion des espèces, ni avec la récurrence des sécheresses ou autres évènements climatiques extrêmes, ni avec les grands cycles biogéochimiques, ni avec la destruction de la microfaune des sols, etc. Évidemment, il est possible de se dire hostile à cette chasse et écologiste, et donc soucieux de ces difficultés. Mais l’adoption de l’une n’entraîne point la reconnaissance des autres, et vice versa.

 

Or, et c’est le moins qu’on puisse dire, la confusion dépasse la seule chasse à courre. Nombre de militants écologistes se déclarent par exemple végans et antispécistes, c’est même très tendance. Pourquoi pas, mais le problème est que ne manger aucune viande pour des raisons morales ou réduire significativement sa consommation de viande pour diminuer les émissions mondiales de carbone sont, quoique compatibles, deux attitudes totalement différentes. La première vise à bannir des actes particuliers (de l’élevage à l’assiette) et se suffit à elle-même, comme tout autre interdit moral ; la seconde ne vise pas directement la chaîne des actions qui vont des étables à la fourchette, mais leurs conséquences écologiques diffuses et indirectes, et ce jusqu’aux perturbations universelles et au long cours du fonctionnement du système-Terre, ramassées par l’expression « dérèglement climatique », en passant par la déforestation induite. Personne n’échappera auxdites conséquences et elles affectent et affecteront la capacité de cette planète à accueillir les formes actuelles de vie, a minima. Elles constituent matière à consensus, et non le jugement moral végan ou antispéciste. La confusion entre ces deux registres est politiquement grave. Entendons-nous bien, un parti politique peut se revendiquer végan et antispéciste, nul problème à cela, mais en plus de sa qualité d’« écologiste », non en lieu et place.

“Des situations écologiques objectivement différentes peuvent appeler des règles morales et sociales au rebours les unes des autres” Dominique Bourg

 

Considérons le cas des sécheresses et du manque d’eau qui en découle. Nous sommes alors confrontés à un problème authentiquement écologique. Le dérèglement climatique en cours affecte le régime des pluies et tout particulièrement leur répartition, suscite des vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses, et notamment des sécheresses éclair ; trois canicules successives en France lors de l’été 2022, cherchez un précédent ! Cela produit une situation dramatique, notamment en matière de production alimentaire. En avril 2023, de vastes cultures céréalières en Espagne sont d’ores et déjà détruites par la sécheresse ; la récolte y sera nulle. En France, les Pyrénées-Orientales et l’Aude sont dans une situation de stress hydrique proche. Quand la situation objective est telle, interdire le remplissage des piscines privées ou l’arrosage des golfs, mettre fin aux types de cultures les plus gourmands en eau, etc., ne constituent pas des mesures arbitraires, mais de salubrité publique. De façon générale, dans une situation de pénurie, le laisser-faire a pour conséquence de priver le grand nombre d’une ressource au profit d’un petit nombre. Le rationnement est en l’espèce le devoir des autorités publiques pour assurer une juste répartition. Ce qui en d’autres circonstances apparaitrait comme scandaleusement autoritaire, s’impose comme juste. Ici ce n’est pas une décision morale qui crée une situation arbitraire, mais des décisions politiques qui permettent d’amoindrir les conséquences d’une situation objectivement dramatique. Deux remarques toutefois. L’actuelle situation climatique découle de décisions politiques antérieures. La façon dont les mesures de restriction sont adoptées et accompagnées joue évidemment aussi dans leur réception, notamment pour les agriculteurs de l’agrobusiness surendettés. À l’opposé est délétère le déni de ces situations, très répandu dans les sphères complotistes ou d’extrême droite ; est encore scandaleuse l’attitude des autorités publiques qui, comme dans le cas de Sainte-Soline [lire notre article], organisent la captation de l’eau pour quelques pourcents d’agriculteurs. Depuis l’écologue américain Garrett Hardin, le théoricien de la « tragédie des communs » [lire notre article] – soit l’idée qu’une ressource partagée mais limitée tend à être surexploité – et qui n’est pas ce qu’on appelle un auteur de gauche, on sait que des situations écologiques objectivement différentes peuvent appeler des règles morales et sociales au rebours les unes des autres. La confusion des genres dénoncée plus haut fragilise la reconnaissance par le public de ces situations inédites auxquelles nous ne saurons faire face sans changer des habitudes de consommation et des comportements ancrés.

 

Les drames abondent et abonderont parce qu’il n’a durant les dernières décennies été tenu aucun compte de l’expertise écologique et scientifique. L’eau était précisément l’exemple retenu par l’agronome René Dumont durant sa campagne électorale de 1974… Quoi qu’il en soit, il importe pour le présent et l’avenir d’apprendre à distinguer les situations auxquelles nous seront confrontés et les manières de solution que nous chercherons à adopter. Des institutions comme l’IPCC (Intergovernemental Panel on Climate Change) ou l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity) ont été fondées dans cet esprit, en vue de fournir un diagnostic commun. Et la difficulté est que la globalité du diagnostic est à nouveau difficile à appréhender. Plus précisément, et sans qu’il me soit permis ici de développer, climat et effondrement du vivant remettent en question le volume des activités humaines au sein du système-Terre ; ce qui transparaît clairement avec le référentiel des limites planétaires. Autrement dit, ce qui vaut pour l’eau vaut aussi pour les autres difficultés écologiques. Quel que soit le problème, nous nous heurtons à des questions de finitude, aux limites planétaires, et serons appelés à une forme de sobriété. L’objectif autrefois commun à l’ensemble des forces politiques démocratiques – maximiser au sein de la nation le développement des forces productives – est devenu dangereux. S’accommoder de la sobriété dans le respect de nos grandes valeurs devrait constituer le nouveau socle commun démocratique. Plus nous tarderons à l’entendre, plus nous entretiendrons la confusion des idées et des registres, et plus nous préparerons le terreau de futures répartitions inégalitaires et autoritaires des ressources, de possibles dictatures, non pas écologiques, mais suscitées par la surdité écologique.

Écologie et confusionnisme politique : la clarification de Dominique Bourg
Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
4 min
Dominique Bourg : “Au lieu de se poser des questions oiseuses, l’Europe ferait mieux de s’interroger sur la sobriété à venir”
Dominique Bourg 15 juillet 2022

L’Union européenne vient de classer le gaz et le nucléaire comme énergie verte. Dans cette tribune, le philosophe de l’écologie Dominique…

Dominique Bourg : “Au lieu de se poser des questions oiseuses, l’Europe ferait mieux de s’interroger sur la sobriété à venir”

Article
9 min
Dominique Bourg / Peter Singer : l’écologie en pratique
Naomi Hytte

Comment mettre en pratique ses engagements théoriques en matière d’écologie ? Quelques réponses avec deux philosophes : Dominique Bourg, penseur franco-suisse, partisan d’une « écologie intégrale », et Peter…


Dialogue
12 min
Luc Ferry, Dominique Bourg. Le débat durable
Martin Legros 27 avril 2011

Dominique Bourg et Luc Ferry sont philosophes et très au fait des enjeux écologiques. Mais, sur l’avenir du nucléaire, ils ne sont d’accord sur rien. Par-delà les chiffres d’experts, leur échange met en lumière les principaux clivages…


Entretien
15 min
Dominique Méda : “Seule la reconversion écologique nous sortira de la crise du travail”
Catherine Portevin 27 mai 2019

La grande affaire de Dominique Méda, c’est le travail. Mais pas question pour la philosophe et sociologue d’en faire le centre de nos vies. Face à…

Dominique Méda : “Seule la reconversion écologique nous sortira de la crise du travail”

Article
4 min
"Écofascismes" : comment l'extrême droite s'est emparée de l’écologie
Jean-Marie Durand 17 mai 2022

Le concept d’« écofascisme », né dans les années 1970, s’impose de plus en plus dans le paysage de la pensée écologique. Souvent confus,…

"Écofascismes" : comment l'extrême droite s'est emparée de l’écologie

Dialogue
14 min
Dominique Bourg-Emmanuel Hache : ressources énergiques
Cédric Enjalbert 27 octobre 2022

Le philosophe Dominique Bourg et l’économiste Emmanuel Hache débattent de l’importance cruciale des politiques énergétiques et des mesures…

Dominique Bourg-Emmanuel Hache : ressources énergiques

Dialogue
10 min
Dominique Lecourt / Jean-Pierre Dupuy : Apocalypse now ?
Michel Eltchaninoff 20 septembre 2012

L’idée d’un « catastrophisme éclairé », forgée par Jean-Pierre Dupuy, a gagné en audience ces dernières années. La peur peut-elle être bonne…

Dominique Lecourt / Jean-Pierre Dupuy : Apocalypse now ?

Article
7 min
Pierre Charbonnier : “La préoccupation écologique n’était pas absente du scrutin, elle s’est simplement tournée vers Jean-Luc Mélenchon”
Jean-Marie Durand 11 avril 2022

Le score très bas de Yannick Jadot, candidat d’Europe Écologie Les Verts, au premier tour de la présidentielle (4,6%) est l’une des surprises…

Pierre Charbonnier : “La préoccupation écologique n’était pas absente du scrutin, elle s’est simplement tournée vers Jean-Luc Mélenchon”

À Lire aussi
Pierre Charbonnier : “La démocratie capitaliste verte n’est pas l’horizon ultime de l’histoire”
Pierre Charbonnier : “La démocratie capitaliste verte n’est pas l’horizon ultime de l’histoire”
Par Pierre Charbonnier
janvier 2021
Écologie ou économie : qui commande ?
Par Michel Olivier
Proudhon : à quoi sert vraiment la pause dominicale ?
Proudhon : à quoi sert vraiment la pause dominicale ?
Par Alexandre Lacroix
avril 2020
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Dominique Bourg : “La crise écologique impose une politique de salubrité publique”
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse