François Bayrou, Tzvetan Todorov. Exercice d’équilibre
[Actualisation : Tzvetan Todorov est mort le mardi 7 février 2017 à l’âge de 77 ans] François Bayrou, candidat MoDem à la présidentielle, et Tzvetan Todorov, historien des idées et essayiste, font tous deux l’éloge de la modération. Pourtant, leur rencontre n’a pas donné lieu à un consensus tiède. Positionnement du centre, populisme, laïcité… les divergences sont réelles chez ces deux pourfendeurs de la démesure.
Un spectre plane sur l’élection présidentielle depuis le duel inattendu Chirac-Le Pen de 2002 : l’extrême droite se hissant à la place de l’arbitre impossible de notre destin commun. La démocratie ne se définit-elle pas par le choix entre des politiques contradictoires, plutôt que par le rejet unanime des extrêmes ? Cinq ans après le choc du 21 avril, alors que la crise économique et financière a réduit encore davantage les marges de manœuvre des partis de gouvernement, la question du pluralisme, c’est-à-dire de la modération, est à nouveau au cœur de l’élection.
D’où l’intérêt de réunir deux grands défenseurs de cette vertu politique, le candidat centriste François Bayrou et l’historien des idées Tzvetan Todorov. La démocratie est malade d’elle-même, diagnostique celui-ci dans son dernier livre Les Ennemis intimes de la démocratie (Robert Laffont). Sa faiblesse est sa démesure qui retourne ses valeurs en leur contraire : la liberté en tyrannie des plus forts, le progrès en esprit de croisade, l’égalité en populisme… Retrouvons la modestie du pouvoir, plaide face à lui François Bayrou, démocrate constant, qui joue avec succès le troisième ou quatrième homme des présidentielles depuis dix ans.
Entre l’intellectuel et le politique, la rencontre fut spontanée, le premier reconnaissant « un démocrate sincère » chez le second, le second prétendant se retrouver dans l’œuvre du premier. Ils ont en commun le rejet viscéral du totalitarisme communiste et l’amour de la littérature. Tzvetan Todorov est né en 1939 – l’année où fut signé le Pacte germano-soviétique –, en Bulgarie, de l’autre côté du rideau de fer ; François Bayrou a vu le jour douze ans plus tard dans une ferme des Pyrénées-Atlantiques, il est chrétien pratiquant, lit Soljenitsyne à 17 ans. Tzvetan Todorov fut d’abord connu pour ses travaux de théorie littéraire structurale avant d’ouvrir son champ vers l’histoire des idées morales et politiques ; François Bayrou est agrégé de lettres classiques et connaît par cœur des pans entiers de la poésie française. Enfin, peut-être plus souterrainement, y a-t-il entre eux une fraternité de « décalés » : Tzvetan Todorov, « dépaysé » naturalisé français depuis 1974, garde une façon qui n’est pas que française de lire les philosophes des Lumières. Quant à François Bayrou, ses origines paysannes, occitanes, pyrénéennes, l’éloignent du tropisme jacobin de la République.
Mais l’intérêt de cette rencontre réside dans les nuances : malgré la proximité très forte sur les valeurs, ces deux modérés divergent sur presque toutes les grandes questions du moment – défense des sans-grade contre les élites, laïcité, combat contre l’islamisme, sortie du conflit droite-gauche… Comme quoi la dispute peut être amicale mais franche. Autrement dit : le refus de la démesure n’est pas un renoncement.
François Bayrou : Mes premiers engagements furent très idéalistes, auprès des Amis de la Communauté de l’Arche, un mouvement fondé dans la descendance militante de Gandhi par Lanza del Vasto [1901-1981]. Un jour – je devais avoir 20 ans –, mon père m’a demandé de lui expliquer pourquoi je militais là et je me suis rendu compte que je ne pouvais pas lui en parler dans ses mots à lui. Quasi instantanément, j’ai décidé que, sans abandonner ces idéaux, je devais trouver un engagement public explicable dans les mots de mon père, ceux du peuple, des gens que j’aimais et que je voulais défendre. C’est ainsi que j’ai adhéré au courant qu’on appelait alors « démocrate et réformiste » (j’avais lu Soljenitsyne ; à cause de l’accord avec les communistes, je ne pouvais pas une seconde envisager de rejoindre l’Union de la gauche). Le parti que je préside aujourd’hui est le même grand courant démocrate de mes débuts. Il a connu des configurations et des noms différents, mais il a toujours comporté « démocrate » ou « démocratique » dans son titre. Pour moi, la démocratie n’est pas une forme de régime mais un projet politique global, holistique. Une phrase de Marc Sangnier [homme politique et journaliste chrétien démocrate, fondateur du journal Le Sillon, NDLR] me sert de mantra : « La démocratie est l’organisation sociale qui vise à porter à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen. »
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François Bayrou, au soir de l’élection de Nicolas Sarkozy, le 6 mai 2007