Georges Vigarello : le droit au sommeil

Vous avez écrit en 2020 Histoire de la fatigue, est-ce que l’histoire du sommeil en fait partie et que nous apprend-elle ?

Georges Vigarello : L’histoire du sommeil en fait partie, bien sûr. Quand on se penche sur les époques anciennes, on constate par exemple que le manque de sommeil, donc le fait de veiller, est toujours associé à la fatigue. Mais différemment selon les époques : au Moyen Âge, par exemple, les auteurs affirment qu’il ne faut surtout pas dormir le jour. Pourquoi ? Parce qu’ils associent l’« état » de fatigue à la dissipation de l’une ou l’autre des humeurs qui constituent, selon les canons de l’époque, les quatre grandes catégories aqueuses du corps : le sang, la colère, la mélancolie et le flegme. C’est très intéressant en matière d’imaginaire du corps et cela conduit à penser qu’en dormant le jour, votre corps reste sollicité par la lumière, donc des humeurs sortent. L’efficacité du sommeil est perdue. Or le sommeil permet de chauffer puisque l’humeur intérieure permet de rassembler de la chaleur, de favoriser la digestion, et donc elle favorise le fait que ce que vous digérez puisse circuler au sein de l’organisme. Au fond, ils disent que dans le sommeil, l’individu se rassemblant sur lui-même, ça chauffe et ça permet à la nourriture de mieux se réaliser, de mieux se distribuer. Notez qu’on n’est pas si loin de ce que disent les neurosciences lorsqu’elles montrent que le sommeil n’est pas simplement un temps vide, mais un temps de construction où on recrée de l’hormone, de la cellule... 

À partir de quand la sieste n’est plus à l’index ?

Au XVII^e siècle, on commence à accepter plus ou moins qu’il soit possible de dormir après manger. Mais on se pose de nouvelles questions qui peuvent sembler baroques vues d’aujourd’hui. Par exemple, on s’interroge sur la position à adopter. On pense qu’il ne faut pas rester allongé sur le dos, car le contact du dos avec le drap, la couverture ou le sommier génère une chaleur excessive qui peut créer ce qu’on appelle « la pierre », c’est-à-dire un calcul. L’imaginaire du corps est toujours aussi passionnant ! Autre question : faut-il dormir la bouche ouverte ou fermée ? Attention, si vous dormez la bouche ouverte, vous emmagasinez toutes les vapeurs qui traînent. Surtout lorsque vous partagez une chambre, comme c’est fréquent, avec plusieurs personnes. On considère donc qu’il faut fermer la bouche et que le nez est mieux armé pour filtrer les vapeurs. En revanche, il y a une absence totale de questions portant sur ce qu’on pourrait appeler le problème des nerfs, de la détente, du retour sur soi.