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Le livre du jour

“Histoires de la nuit”, de Laurent Mauvignier

Alexandre Lacroix publié le 19 novembre 2020 4 min

Il est possible de lire Crime et Châtiment de Dostoïevski comme un polar, qui raconte un double meurtre commis par un étudiant pauvre – mais un polar qui serait truffé de longs dialogues philosophiques dignes de Platon. De même, Histoires de la nuit (Minuit, 2020) de Laurent Mauvignier est un roman noir, dont l’intrigue pourrait être celle d’un (très bon) téléfilm, sauf que l’auteur y a injecté la finesse d’analyse psychologique et la phrase longue typiques de Marcel Proust.

Et c’est précisément ce hiatus, ce décalage entre l’argument et la forme, qui fait de cette lecture un moment très particulier. 

 

  • Tout se passe dans un hameau rattaché au village de La Bassée, quelque part dans les campagnes du centre de la France, dans un coin pauvre, délavé par la pluie, où la boue colle aux pieds, et où l’on arrive par un chemin grevé de trous et de flaques. Dans ce hameau, il y a trois maisons, dont une vide et en vente – mais aucun acheteur ne vient jamais la visiter, d’ailleurs elle n’est même pas en agence. Et quatre habitants : une famille composée, comme celle des ours dans Boucle d’or, d’un papa, d’une maman et d’une enfant, et Christine, une peintre excentrique entretenue grâce à la prestation compensatoire qu’elle a obtenue après son divorce, qui remonte à loin, avec un banquier. Un soir, ce hameau va être pris d’assaut par trois individus plutôt mal intentionnés, et qui ont des comptes à régler… Traité par Boileau et Narcejac ou Simenon, il y aurait là prétexte à un sympathique polar de cent cinquante pages. Mais Laurent Mauvignier va tenir la distance sur plus de six cents pages et explorer minutieusement tous les détails de son intrigue, ne laissant rien au hasard ni dans l’ombre.
  • Là où son projet est passionnant, c’est que la phrase proustienne qu’il emploie, terriblement lente, exhaustive, méandreuse, n’ignorant aucune perception, aucune nuance d’émotion, aucune pensée des personnages, loin de devenir la finalité même du livre, comme c’est le cas chez Proust, ou chez un Claude Simon qui s’en est inspiré, devient un pur ingrédient du suspense. Cette phrase rend le lecteur littéralement fou d’impatience, puisqu’elle est parfaite, maîtrisée, ample, mais qu’elle empêche de savoir ce qui va se passer juste après, qu’elle freine la progression du récit, qu’elle devient comme un obstacle à la satisfaction de la curiosité en même temps qu’elle accroît celle-ci.

Quand un coup de feu claque, Laurent Mauvignier parvient même à ralentir la trajectoire de la balle. Comment fait-il ?

Même dans les moments les plus tendus de l’intrigue, quand les armes à feu entrent en scène, Laurent Mauvignier dilate le temps en recourant à plusieurs procédés qu’il manie tout au long de son roman, notamment :

  • L’analyse des petites perceptions. L’une des particularités du style proustien est ce qu’on appelle le « microscope psychologique », c’est-à-dire la capacité d’isoler des perceptions ou des pensées minimes, timides, qui n’occupent dans la vie réelle qu’une fraction de seconde et que, d’habitude, on ne se formule même pas, qui glissent donc sous le niveau du langage. Après un coup de feu, cela donne ceci : « Patrice ne se rend compte de rien, la déflagration lui a fait tourner la tête en l’assourdissant, il n’avait jamais entendu avant ce soir un coup de fusil dans une pièce fermée, jamais ailleurs que dans les forêts et les champs il n’avait entendu l’explosion d’un coup de fusil, et même s’il connaissait parfaitement la force de la déflagration, il s’aperçoit qu’il n’en connaissait pas la violence sonore, même s’il ne se laisse pas étourdir trop longtemps, car il laisse monter en lui la colère encore d’un cran, sa colère qui n’a plus qu’à se répandre, qu’à prendre toute la place de la frustration et des tensions accumulées depuis des heures, et pourtant, même tremblant, il doit rester calme… » (Ne finissons pas la phrase pour ne pas dévoiler l’intrigue !)
  • La saisie indirecte de la situation. Une autre manière de ralentir les balles, c’est-à-dire de disjoindre le moment où un personnage appuie sur la détente et la révélation du résultat de l’action, c’est de déplacer le point de vue, de faire raconter la scène d’abord par un protagoniste qui ne peut pas la voir tout entière, parce qu’il se trouve dans la maison ou la pièce d’à côté. Cela donne par exemple : « Cette fois, d’ici, de cette maison où le silence lui-même est une sorte de bourdonnement, l’écho du tir s’étend plus profondément, se répand non seulement dans l’espace de la campagne, comme si rien ne pouvait l’empêcher de s’étendre comme un nuage de gaz au-dessus des champs et de la rivière, sur toute La Bassée et même ailleurs, mais donc aussi vers l’intérieur des êtres et des choses, s’y répandant aussi facilement qu’il se répand à l’extérieur. »
  • Le voile d’ignorance du personnage. Une dernière façon de s’y prendre, enfin, consiste à jouer sur l’impossibilité psychologique pour un être humain de bien comprendre ce qui lui arrive au moment précis où la chose arrive – car nous n’avons pas de recul sur les événements majeurs de notre vie. Cela donne : « Il croit qu’il est touché à la mâchoire, qu’on vient de lui arracher le visage car la douleur est si brûlante qu’elle inonde tout le haut du corps. » D’accord, d’accord, mais elle est passée où la balle, Laurent ?

En somme, Histoires de la nuit n’est pas un roman qui propose une nouvelle vision de l’être humain ni des idées philosophiques (et c’est une différence avec Dostoïevski), mais qui invente une forme, et qui par là comporte donc une véritable idée littéraire.

 

Histoires de la nuit, de Laurent Mauvignier, est l’un des romans de la rentrée littéraire. Paru aux Éditions de Minuit, il est disponible ici.

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