Romain Lucazeau : “Plutôt que d’imaginer l’avenir, la science-fiction s’adresse à nos peurs”
L’immense popularité du film Dune, réalisé par Denis Villeneuve d’après le roman de Frank Herbert (1965), a prouvé que la science-fiction est toujours présente en force dans la culture populaire. Pour mieux comprendre les raisons de cette ferveur traversant les décennies, nous nous sommes entretenus avec l’écrivain Romain Lucazeau, auteur de Latium (Prix de l’Imaginaire 2017), qui vient de publier chez Albin Michel un conte philosophique, La Nuit du faune. Passé par l’École normale supérieure et l’agrégation de philosophie, il fait partie du groupe d’écrivains qui travaillent pour l’armée française à l’imagination de menaces futures. Entretien.
Vous êtes écrivain de science-fiction, mais vous avez une formation de philosophie. Comment voyez-vous l’articulation entre les deux ?
Romain Lucazeau : Je pense qu’il y a entre la philosophie et la science-fiction une articulation essentielle. Quand j’ai quitté le monde universitaire après l’agrégation de philosophie, j’ai d’ailleurs réinjecté dans l’écriture de science-fiction un élément central de ma formation : la spéculation. La science-fiction consiste à créer un cadre dans lequel on manipule un certain nombre de paramètres qui ont partie liée avec notre compréhension spontanée du monde, et on en tire toutes les conséquences de façon très rationnelle. En ceci, la science-fiction n’est pas un genre de l’imaginaire, contrairement à ce qu’on pourrait croire, mais un genre spéculatif. C’est le principe du « et si ? ». Et si la notion de temps était abolie dans le déplacement spatial ? Les textes de science-fiction fonctionnent par le changement d’un élément du réel, qui est au quotidien un impensé : dans l’exemple que je viens de donner, l’impensé est que pour voyager, il faut consommer du temps. Si vous changez ce paramètre et que vous en tirez les conséquences avec rigueur, c’est là qu’on pénètre dans la science-fiction. C’est donc un lieu privilégié de la spéculation, ce qui le rapproche de quelque chose qui traverse toute la philosophie : l’expérience de pensée.
“La science-fiction n’est pas un genre de l’imaginaire, contrairement à ce qu’on pourrait croire, mais un genre spéculatif”
Les expériences de pensée célèbres de la philosophie, comme le malin génie de René Descartes ou le prince et le savetier de John Locke, ont-elles quelque chose à voir avec la science-fiction ?
Bien sûr ! Si vous prenez une expérience de pensée et que vous la réifiez, c’est-à-dire que vous la faites passer de l’idée à la chose, de l’image au réel, vous faites de la science-fiction. La science-fiction, c’est une expérience de pensée philosophique prise au sérieux… ou plutôt, prise au pied de la lettre. Par exemple, si vous lisez Germinal d’Émile Zola (1885), vous y trouverez une métaphore de la mine comme un monstre qui avale des ouvriers. Si vous écrivez un livre de « SF », vous pouvez imaginer des ouvriers qui travaillent vraiment dans un gigantesque animal vivant. Le principe de l’écriture de science-fiction, c’est donc ceci : la réification de la métaphore.
Aujourd’hui, du film Dune (Denis Villeneuve, 2021) à la série Fondation (Apple TV+, 2021), on a l’impression d’assister à un grand retour de la SF. Qu’en pensez-vous ?
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