Jacques Rancière: “Le modèle m’en venait de ces ouvriers en lutte dont j’avais, vingt ans plus tôt, étudié les textes”
Souvent les nouvelles théories naissent en une fraction de seconde. C’est ce qui est arrivé, dit la légende, à Archimède avec son fameux « Eurêka ! » (« J’ai trouvé ! »). Mais c’est aussi ce qu’ont vécu, d’une façon ou d’une autre, les grands philosophes de notre temps que nous avons interrogés. Ils reviennent pour nous sur la mystérieuse origine de leur concept-clé. L’occasion de faire un tour du monde de la pensée contemporaine. Et, qui sait, de faire naître l’Idée, la vôtre.
« La mésentente est une invention qui répondait à une situation spécifique. Dans les années 1990, l’idéologie officielle du consensus était secondée par le retour théorique à la “vraie” politique. Celle-ci envoyait aux poubelles de l’Histoire lutte des classes et division sociale. À leur place venaient le bien commun et la capacité humaine du langage qui le discute. De l’essence langagière de l’animal politique (Aristote) ou de la raison communicationnelle (Habermas), on tirait l’idée d’une ligne droite obligeant à s’entendre ceux qui ont la capacité jointe de parler aux autres et de les entendre. Les nouveaux débordements racistes démentaient assez cette idylle. Mais il m’importait d’y montrer la conséquence de la négation de la dimension conflictuelle au cœur même de la politique. Je baptisai d’abord cette dimension conflictuelle, le tort. Les auteurs mêmes sur lesquels s’appuyait l’idylle consensuelle en marquaient la place : Aristote déjà inscrivait l’irréductible du tort sur le chemin conduisant de l’utile au juste et opposait ceux qui possèdent le langage à ceux qui seulement l’entendent. Mais il fallait distinguer le tort ainsi conçu de la dette infinie dont l’ombre planait alors sur la philosophie. “Mésentente” alors s’imposa pour marquer la possibilité d’un traitement égalitaire de la structure inégalitaire du tort. Le modèle m’en venait de ces ouvriers en lutte dont j’avais, vingt ans plus tôt, étudié les textes. Ceux-ci construisaient une scène de discussion avec ceux qui ne voulaient pas discuter avec eux et ne les croyaient pas même capables de discuter. La mésentente me sembla alors pouvoir nommer cette structure langagière qui définit la politique comme lutte non pas entre des opinions ou des intérêts mais entre des mondes sensibles antagoniques. Cette notion dit qu’une notion a pour sens un conflit entre plusieurs sens ; ce concept dit qu’un concept est toujours en même temps la configuration d’un univers sensible. Cette invention rappelle comment les inventions ont lieu : quand on fait se rencontrer des mondes séparés. »
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