Jacques Sémelin. « Je préfère parler d’ambiguïté du mal plutôt que banalité du mal »

Jacques Sémelin, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 4 min

L’historien des violences de masse remet en perspective la notion de banalité du mal mais explique que nous ne sommes jamais totalement vaccinés contre la barbarie.

Avec son concept de « banalité du mal », Hannah Arendt a-t-elle bien compris le criminel de guerre nazi Adolf Eichmann ?

Jacques Sémelin : Non, elle s’est trompée. C’était la première fois qu’on jugeait un criminel de guerre nazi après le procès Nuremberg. Quand débute le procès Eichmann à Jérusalem, on avait une représentation du nazi comme un être monstrueux, un psychopathe pervers. Or on découvre un bonhomme assez quelconque. C’est ce choc qui s’est produit, ce que traduit le livre d’Arendt et son titre.

Mais Eichmann, comme beaucoup de criminels de masse, a joué lors de son procès la carte de l’homme qui n’a fait qu’obéir. Il s’est coulé dans une posture de déresponsabilisation pour sauver sa tête. Arendt a décrit la posture d’un homme vingt ans après les faits. Elle affirme  qu’il n’y a rien dans le passé d’Eichmann qui puisse expliquer ce qu’il a fait pendant la guerre. C’est faux : il a adhéré tôt aux SS. C’était un antisémite convaincu. Comme le montre bien son biographe David Cesarani, le Eichmann des années 1960 est très différent de celui des années 1940, qui faisait partie de l’élite SS et qui considérait que les Juifs n’avaient plus le droit à l’existence.

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