Hors-série "Blaise Pascal, l’homme face à l’infini"

Jean-Pierre Dupuy : la possibilité du pire

Jean-Pierre Dupuy publié le 30 mai 2023 6 min

Que vaut un gain quasi infini affecté d’une probabilité quasi nulle ? Tel est le problème posé par le pari pascalien. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy revisite cette question à la lumière du premier essai nucléaire : fallait-il pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale prendre le risque, même infime, de l’extinction de toute vie sur Terre ?

 

Le « pari de Pascal » a été la matrice d’où ont surgi nombre de disciplines métascientifiques contemporaines, parmi lesquelles la théorie de la décision en avenir incertain ou risqué, la théorie du choix rationnel, la théorie des jeux, l’arithmétique « non standard » et, bien sûr, le concept même de probabilité. Ainsi qu’il en a été avec la conjecture de Fermat (exprimée en cinq mots dans la marge d’un livre), la principale raison de cette fécondité est le caractère très imprécis, pour ne pas dire auto-contradictoire, dans lequel Pascal a laissé ce qu’il voulait être la démonstration de l’utilité – et non de la vérité – de la croyance en l’existence de Dieu.
 

Un des aspects de l’argumentation de Pascal, et le seul que je considérerai ici, est le cas des grandeurs « quasi » infinies qui sont affectées d’un poids qui peut être fini, mais qui peut aussi être « quasi » nul. La question est de savoir si un bien infini que je ne posséderai peut-être jamais (la vie éternelle auprès de Dieu) vaut plus pour moi que le bien fini (ma vie sur Terre avec ses plaisirs médiocres) que je sacrifie.

"Le ‘pari de Pascal’ a été la matrice d’où ont surgi nombre de disciplines métascientifiques contemporaines" Jean-Pierre Dupuy

 

Voici comment en termes qui sont ceux du vingtième siècle on peut présenter le paradoxe des grandeurs « quasi nulles ». Soit ε1 un nombre positif, non nul, et très petit. On dit de lui qu’il est « évanescent » 2. Puisqu’il n’est pas nul, il existe un entier très grand N tel que le produit Nε soit un nombre réel A non évanescent. Cependant, son caractère évanescent se traduit par la propriété qu’additionné à un réel X, il produit un résultat indiscernable de X, donc identique à X, selon le principe de l’identité des indiscernables de Leibniz 3.

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