Jules Ferry, la laïcité et le fanatisme
Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, a illustré son cours d’enseignement moral et civique (EMC) par une caricature représentant Mahomet. Perçu comme un blasphème par des parents d’élèves, leur campagne de dénonciation a excité la folie meurtrière d’un jeune homme qui assassina le professeur. Ce drame terrible nous fait remonter le temps. Nous sommes en 1882 et une loi vient de supprimer l’enseignement religieux à l’école. À la place, une innovation du ministre de l’Éducation de l’époque, Jules Ferry, “l’instruction morale et civique” ; l’ancêtre de l’EMC, le cours d’éducation civique qui coûta la vie à Samuel Paty. À quoi devrait ressembler ce cours ? Quelle en serait la boussole ? En 1883, Ferry prend la plume pour répondre dans une lettre mémorable. “En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral : c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession.” Samuel Paty, en enseignant la liberté d’expression à ses élèves, poursuivait dignement la mission de Jules Ferry.
- Un an plus tôt, le 26 mars 1882, Jules Ferry, ministre de l’Instruction des grandes heures de la Troisième République, faisait voter une loi sur l’enseignement primaire obligatoire. Ce texte garantit la neutralité de l’école vis-à-vis de la question religieuse. Il refuse tout “droit d’inspection, de surveillance et de direction” des cultes sur l’enseignement public et supprime l’enseignement religieux de tous les programmes. Au total, il institue que “l'instruction religieuse appartient aux familles” et veut séparer l’école de l’église pour “assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves”. Des principes essentiels sur lequel tout notre système éducatif s'appuie aujourd’hui.
- Mais dans la lettre aux instituteurs, Jules Ferry va plus loin. Cette loi n'est pas “une œuvre purement négative”, qui se contenterait de retirer l’enseignement de la morale religieuse pour ne rien y substituer. La création de l’instruction morale et civique, c’est l’ambition d’édifier une base commune de principes mais qui ne soit pas d’origine confessionnelle, “la volonté de fonder chez nous une éducation nationale et de la fonder sur des notions du devoir et du droit”. Ces droits et ces devoirs qu’évoque Ferry, c’est précisément l’un de ceux-là qu’essayait d’enseigner Samuel Paty à sa classe de 4ème : la liberté d’expression. De ce fait, l’instituteur n’est plus seulement le passeur d’un savoir technique, mais aussi celui d’un progrès moral : “Il y a dans chaque instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès moral et social.”
- Pour autant, il ne s’agit pas pour Ferry d’attaquer les religions ou d’établir en l’enseignement moral et civique leur ennemi. Respectueux de la foi dans le domaine privé et conscient de l’hostilité de la puissante Église à l’école républicaine naissante, Ferry intime à la prudence. Enseignez “avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.” Les principes de Ferry résonnent ici aussi avec la tragédie de vendredi dernier. De témoignages concordants, Samuel Paty aurait de surcroît choisi de ménager la sensibilité des musulmans de sa classe, en leur demandant s’ils souhaitaient sortir avant qu'il présente les caricatures de Mahomet. Ferry va même plus loin : “Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire.” Ici encore, la position de Samuel Paty tient : on ne peut pas, “de bonne foi”, exiger que l’on censure ou que l’on cache un dessin en France tant qu’il n’enfreint pas la loi. Et le délit de blasphème n’existe plus en France depuis 1881. Ainsi en ont décidés les juges, en 2007, relaxant Charlie Hebdo pour ces mêmes dessins, et posant le principe suivant : « Dans une société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions, quelles qu'elles soient. »
- “En vous conférant de telles fonctions, le Parlement s’est-il trompé ? A-t-il trop présumé de vos forces, de votre bon vouloir, de votre compétence ?” En posant ces questions aux instituteurs, Jules Ferry anticipait une critique que font aujourd’hui de nombreux professeurs : ne sont-ils pas laissés seuls pour définir le contenu de ces cours difficiles ? Ne se trouvent-ils pas livrés à eux-mêmes face à des périls immenses ? Sur ce point, la lettre aux instituteurs reste obscure. D’une part, elle ne veut pas que cette instruction morale se transforme “en une sorte d’improvisation perpétuelle sans aliment et sans appui du dehors”. Néanmoins, il ne faut non plus qu’elle devienne “une sorte de catéchisme nouveau” ; aussi, Ferry refusait-il de recommander un livre obligatoire ou un manuel définitif qui donnerait au cours naissant la forme d’une doctrine. “Ce qui importe, ce n’est pas l’action du livre, c’est la vôtre. Il ne faudrait pas que le livre vînt en quelque sorte s’interposer entre vos élèves et vous, refroidir votre parole, en émousser l’impression sur l’âme de vos élèves, vous réduire au rôle de simple répétiteur de la morale.” C’est cette parole vivante que les islamistes ont voulu faire taire.
Nous reproduisons ci-dessous la lettre de Jules Ferry aux instituteurs, rédigée un an après le passage de la loi sur l’enseignement primaire…
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